Bulletin SHF XXXX 61
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Bulletin de la Société
Herpétologique de France
19' trimestre 1992 n° 61
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19-zz Jem 1991
ISSN 0754-9962 Bull. Soc. Herp. Fr., (1992) 61

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Bulletin de la Societe Herpetolcgique de France
Directeur de Publication il Editor:
Roland VERNET
Comité de Rédaction l Managing Co·Edltors:
Michel LEMIRE, Jean LESCU E, laude FIEAU,
Jean·C|aude RAGE, Jeff TIMMEL (Index)
Secrétariat de Rédaction I Secretarles :
Sophie BERLAND (Index), Nathalie COLLE (Bultetin de liaison},
Valérie RAAD et Yannick VASSE (Bulletin}
Comité de lecture I Advisory Editorial Board:
Robert BARBAULT (Paris, France); Aaaron M. BAUER (Villanova, Pennsylvania);
Liliane BODSON I3Liè e, Belgique); Donald BRADSHAW (Perth, Australie);
Maria Helena CAETA O ?Lisbonne, Portugal}; Max GOYFFON (Grenoble, France};
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Benedetto LANZA (Florence, ItaIie);Rayrnond LECLAIR îTrois—Rivières, Canada);
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reporter. S'i|s ne les possèdent pas, ils peuvent en obtenir une copie auprès du
responsable du comité de rédaction. Les points principaux peuvent être rèsumes ainsi:
Les manuscrits, dactylographiés en double intertigne, au recto seulement sont envoyés en
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des igures sont dactïlographiées sur feuilles séparées. Les références bibliographiques
sont regroupées en in d‘artic|e.
Exemple de présentation et référence bibliographique:
BONS, J., CHEYLAN, M, et GUILLAUME, C.P. (1984) · Les Reptiles méditerranéens. Bull.
Soc. herp. Fr., 29: 7-17.
Tirés à part
Les tirés à part (payants) ne sont lournis qu`à la demande des auteurs (lors du renvoi
de leurs épreuves corrigées) et seront facturés par le service d'imprimerie. Tous
renseignements auprès du Trésorier.
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reproduction et la traduction ainsi que tous les droits y afférent, pour le monde entier. Saut
accord préalable, les documents ne sont pas retournés.
ENVOI DES MANUSCRITS ai
M. Roland VE_RNE`l` _
Laboratoire d'Ecologie, Ecole Normale Supérieure
46 rue d'U|m - 75230 PARIS CEDEX 05
Fax : (1) 44 32 38 B5
Tél : (1) 44 32 37 04
Couverture : Rémi BOURLES
Directeur de la publication :
Roland VERNET
N° commission paritaire 59374

Bulletin dela Société Herpétclcgique de France
19' trimestre 1992 n° 61
SOMMAIRE
RENCONTRES HERPETOLOGIQUES D'ORSAY
(19-22 Juin 1991)
' La métamorphose des Amphibiens : orientations actuelles
Jacques HOURDRY ,.................,................................. 1
" La néotènie dans le genre Triturus : mythes et réalités
Michel BHELJIL .............._........................................... 11
* Signification du collier chez les Amphibiens gymnophiones
Jean LESCURE et Sabine RENOUS ..... . .......................... 45
" La nutrition embryonnaire et les relations foeto-maternelles chez
Typhicrnectes corrpressfcaudus, Amphibien Gymnophione vivipare
Jean-Marie EXBRAYAT et Souad HRAOUI-BLOOUET ........... 53
CONTENTS
ANNUAL MEETING OF THE FRENCH HERPETOLOGICAL
SOCIETY
(ORSAY, 19-22 Juin 1991)
" Amphibian metamorphosis : new trends
Jacques HOURDRY .....,........................... . .................. 1
* Neoteny in the newt genus Trirorus .· myths and realities
Michel BREUIL ..............,........................................... 11
* Signification of the collar in the Gymnophonia amphibians
Jean LESCLJRE and Sabine RENOUS .............................. 45
' Embryonic Ieeding and ioeto-maternal relations in Typhtonectes
cormressicaudus, a viviparous Gymnophiona Amphibian
Jean-Marie EXBRAYAT and Souad HRAOULBLOQUET .......... 53


			
Bull. Soc. Herp. Fr. (1992) 61 : T-10
I
LA IVIETAMORPHOSE DES AIVIPHIBIENS ·
par
Jacques HOURDRY
Résutrné - Lors de la metamorphose des Amphibiens, le changement du plan d'organisation
est sous-tendu par diverses réponses cellulaires: l'altération, la proiifêration, la
différenciation, la migration et Vadhesion. Ce changement du plan d'organisation est
declînché palrrîeâ hormones thyroidiennes. Il entraîne en genéral un passage du milieu
aqua ique a ' a itat terrestre.
Les réponses cellulaires reflètent |’apparition de nouvelles expressions geniques que l'on
apprécie par les messagers transcrits et les proteines codees. A |'heure actuelle, les
variations de ces expressions et leur contrôle peuvent être analysés de maniere plus
precïjse. gtâee aux pregrès dela biologie moléculaire et à Vutilisalion de nouveaux «outits»
son es, an tccrps..,.
illots-clés : Amphibiens. Métamorphose. Réponses cellulaires. Expressions geniques.
Surnmarf - Throughout amphibien metamorphosis, the body ot the tadpole is completely
remoclel ed. This change implies a series of cell responses, including death, proliferation,
dtfferentiation, migration and adhesion. Such responses are triggered by thyroid
hormones. They are generally associated with the shift frorn aquatic to terrestrial life.
The cell responses emphaslze the appearance ol new gene products, as messengers or
translated proteins. At the present time. the gene expressions, as also their regulation, are
anaàysed more caretully, because moteoular biology has made great strides and permitted
bull mg of new «top|_s», as probes or antibodies.
Key-words : Amphtbtans. lvletarnorphosts. Cell responses. Gene expressions.
I- INTRODUCTION
La métamorphose, qui termine la péripcie Iarva_ire, est un phénomène au
çours duquel la morphologie et l’anatomte de l'antmal sont modiliées, suite
a des remaniements ttssutatres associés à des changements d’ordre
moléculaire et metaboltque. Il en résulte une transformation de la larve en
teventle semblable a l’adulte. Les evenements de la metamorphose se
realtsent selon une sequence ordonnée. Spectaculaires et souvent brutaux
chez les Anoures, ces evenements sont plus discrets chez les Urodétes et
les Appcies. La metamorphose est méme absente chez quelques
Amphtbtens, comme le Protee des maires souterraines de Yougoslavie ou
le Necture des Grands-lacs nord-americains.
_ Le changement de plan d‘organisation accompagnant la métamorphose
prepare tres generalement l’animal à quitter le milieu aquatique pour
devenir terrestre. Les animaux n1etamorph0SéS restent néantTt0inS
tributaires de l'eau. La plupart des adultes y reviennent périodiquement
pour_s’acceupler et pondre. Au terme d’upe phase juvénile terrestre,
certains Trttons retournent a |’eau de maniere definitive (Notqohtalmus
vrrrdescens, ...). Pour leur part, le Xénope (Xenopuslœvis) et le Pleurodèle
Manuscrit accepté le 7 février 1992
1

ou Triton de Waltl (Pieurodelés walt!) peuvent demeurer perpétuellement
aquatiques, bien qu‘i|s possèdent un plan d’organisation cl’animal terrestre
depuis la métamorphose.
Le profond remodelage phénotypique que constitue la métamorphose
est placé sous un controle hormonal complexe (Hourdry et Beaumont,
1985). Le phénomène est tout particulièrement déclenché par une
élévation de la concentration des hormones thyro'idiennés circulantes,
imputable à un accroissement d'activité de la thyroïde. La thyroïdectomie
ou l‘administration d’antithyro`idiens (thiourée,...) supprime la
métamorphose des larves, qui continuent toutefois de s'accroître.
Inversement, I‘addition de broyats de thyroïde a l’eau d’élevage ou le
traitement des larves par les hormones thyroïdiennes anticipe le
phénomène, tant chez les Anoures que chez les Urodèles. Le traitement in
vitro d‘explants tissulaires par ces hormones a souvent confirmé les
résultats obtenus in vivo. Ajoutons que le déclenchement de la
métamorphose des Amphibiens par les hormones thyro`idiennes constitue
l’effet endocrinién le plus anciennement connu chez les Vértébrés
inférieurs.
Chez les larves d’Amphibiens, les tissus répondent aux hormones
thyro`idiennes dé manière différée et spécifique en accomplissant un
destin prèétabli. Les différents types de réponse tissulaire à ces hormones
sont préparés par une succession de réactions métaboliques, déclenchées
parla pénétration des hormones dans les cellules puis leur positionnement
sur des récepteurs nucléaires, et aboutissant à de nouvelles expressions
géniques. Il en résulte l‘élaboration d’un cortège différent de protéines
spécialisées, selon un calendrier précis.
II. PRINCIPAUX TYPES DE REPONSE CELLULAIRE INTERVENANT
LORS DE LA METAMORPHOSE
Les nombreux événements de la métamorphose recouvrent en fait cinq
types principaux de réponse cellulaire: l’altération, la prolifération, la
différenciation, la migration et I'adhésion (Hourdry et Beaumont, 1985).
A. Ualtèration
La métamorphose est caractérisée par la dégénérescence de plusieurs
tissus et organes, spécialement chez les tétards d’Anoures. La queue
régressé complètement chez ces larves; les différents tissus subissent une
lyse avec participation ou non d'hydrolases lysosomales, et le matériel
nécrosé est séquestre par des phagocytes. Le rein et les branchies du
tétard disparaissent également. Le manchon glandulaire situé dans la
région gastrique régressé. L’épithélium intestinal prèexistant s’autodigére
à l’intérieur de grands lysosomes apparus dans ses celtules (vacuoles
autolytiques, corps résiduels) (fig. 1). Le pancréas diminue de volume,
consecutivement à la nécrose de nombreuses cellules de sa partie
éxocrine. La zoné apicalé des segments externes des bâtonnets rétiniens
est éliminée, et ses débris sont phagocytès par les cellules de Vépithélium
pigméntaire voisin.
2

B. La prolifération
Chez les animaux en métamorphose, la prolifération qui affecte certains
tissus et organes peut être mise en évidence par radioautographie, après
infection d’un radio-précurseur de l'ADN (thymidine tritiée,...). Une telle
prolifération prépare l’allongement des membres, Vépaississement de
Vépiderme ou du cerveiet, ou la croissance des ébauches glandulaires
cutanées. Un nouvel épithélium digestif se met en place par multiplication
rapide de cellules embryonnaires situées sous Pépithélium préexistant en
dégénérescence (fig. 1). Cet épithélium secondaire s'évagine en glandes
ou se plisse en villosités, selon qu’iI appartient à la région gastrique ou à
I’intestin. Simultanément, les fibres musculaires deviennent plus
nombreuses, spécialement dans la paroi gastrique.
C. La différenciation
Généralement étudiée chez les Anoures, la différenciation cellulaire est
de nature multiple et reflète une maturation fonctionnelle des cellules et
des tissus qui en résultent.
La différenciation peut être observée en microscopie photonique ou
électronique, aprés application des techniques de |‘histologie descriptive.
Citons |'extension de l'arborisation dendritique des cellules de Purkinje du
cervelet, la formation des glandes acineuses cutanées et des glandes
gastriques ou Forganisation de |’ergastoplasme dans les hépatocytes.
La différenciation peut être soulignée aussi parla détection de teile ou
telle espece moléculaire en plus grande quantité. Les activités des
hydrolases lysosomales s'é|èvent dans les fibroblastes caudaux, tandis
que ces cellules se transforment en phagocytes. Lors de ia réorientation
métabolique des hépatocytes, les activités des enzymes du cycle de
l’uréogenése s’accroissent, ce qui accentue la production d’urée par le
foie. Au même moment, l'organe sécréte davantage de sérumalbumine
dont le taux va s’élever dans le plasma...
La phase de différenciation est généralement contemporaine d’une
faible activité mitotique, mais elle peut succéder à une période de
prolifération cellulaire. Ainsi, les acini séreux et muqueux de la peau se
différencient lorsque les ébauches glandulaires ont atteint une taille
suffisante, et la rhodopsine qui se substitue à la porpbyropsine est mise en
évidence dans des cellules visuelles devenues plus nombreuses. Pour
d’autres types cellulaires, dont les hépatocytes, une stimulation de
l’activité mitotique en prémices à la maturation fonctionnelle n’est toutefois
pas systématiquement signalée. Ajoutons que l’élaboration de nouvelles
especes moléculaires peut accompagner l'apparition d’une autre catégorie
de cellules. Ainsi, des hémoglobines caractéristiques de |’adu|te
remplacent-elles celles de la larve, dont elles différent par leur structure et
teurs propriétés, tandis qu'une population distincte de globules rouges
s'installe.
De prime abord, différenciation et altération s'opposent si i‘on examine
leurs consequences. En fait, il n‘y a pas de différence fondamentale.
L‘a|tération peut étre considérée comme une différenciation morbide, au
3

cours de laquelle les activités cfhydrolases lysosomales (cas de
Vépithélium intestinal de la larve, de plusieurs tissus caudaux,...} ou non
(cas des muscles caudaux,...) diffusent dans les cellules en induisant des
foyers de nécrose.
D. La migration
Des mouvements cellulaires succédant à une phase de prolifération
sont observés chez les tétards d'An0ures (Xenopus laevis, Hana
cai‘esbefana,...) en métamorphose. Les cellules rétiniennes du bord ciliaire
ventral se déplacent en direction dorsale. Les cellules de la base du
cervelet envahissent I'organe où elles vont constituer les couches
granulaires externe puis interne. Des neurones encore immatures du toit
optique migrent au méme moment.
E. L'adhésion
L’agencement des cellules en nouveaux tissus et organes, chez
l’anima| en métamorphose, est réalisé de manière spécifique. Les cellules
réagissent entre elles afin d‘lnterdire toute organisation anarchique, gràce
à la présence de molécules d'adhésion a la surface de leur membrane
plasmique.
F. Coexistence des réponses d'histolyse et cfhistogenèse dans le même
organe
Les réponses d'histolyse et d’histogenése coexistent parfois dans un
même organe en cours de remodelage. Ainsi, dans |'intestin, un épithélium
de néoformation se substitue a Vépithélium initial qui disparait, tandis que
l’organe se raccourcit et perd son aspect spiralé. Au niveau de la poche
stomacale en formation, I'apparition d’un tapis glandulaire épais et d’une
musculeuse plus riche en libres est contemporaine de Vélirnination partielle
de Vépithélium préexistant. Dans le pancréas, une régénération active
succédé à l’importante nécrose.
Ill. CONSEQUENCES PHYSIOLOGIQUES ET IMMUNOLOGIQUES
Les diverses réponses cellulaires retentissent sur la physiologie des
larves métamorphosées. La réorganisation synaptique dont le systéme
nerveux central en maturation est le siégé, précédé Vélaboration de
nouveaux réflexes (réflexe cornéen,...). Elle favorise également la vision
binoculaire, les yeux se rapprochant du plan de symétrie de l’animal.
i.’équilibre hydrominéral est modifié. Au niveau de la peau, par
exemple, un transport actif d'ions sodium vers le milieu intérieur s'installe
au travers de l’épiderme qui s'épaissit. Le fonctionnement de cette upompe
à sodiumv est associé a Vapparition d’une différence de potentiel entre les
deux faces du tissu.
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·•_'.•·«•-.‘- #-4 .,_-'-··'lu
Figure 1: lntestin de tétard de Discoglossus pictos, A—D: micrographies photoniques. A:
prernétamorphose. B: début de la métamorphose. Des Iysosomes (flèches) apparaissent
dans _l'épithê|ium initial, sous lequel des cellules embryonnaires se muitlpllent
(asterisques). C: milieu de la métamorphose. L'épithé|lum initial en dégénérescence est
évacué dans la lumiere intestinale tlléche), cependant que les cellules des îlots sous-
épithéliaux prolilérent (astérisque). D: lin de la métamorphose. Epithélium néolormé
villeux (astérisque), E et F: micrographies électroniques. E: début de la métamorphose.
Vacuole autophaglque de Vépithéllum initial. F: début de la métamorphose. Corps résiduel
présent dans ce même épithélium et provenant de Vévolution d'une vacuole autophapique.
ch: chorion; ep: épithéllum initial; lu: lumière intestinale; m: mitochondrie; ms: muscu euse;
reg: réticulum éndoplasmique granulaire; se: séreuse; tm: tourbillon membranaire. (J.
Hourdry et A. Beaumont, 1985).
5

De nouvelles reponses immunitaires sont observées après la
métamorphose, en relation avec |'apparition de nouveaux antigènes
d’histocompatibi|ité et d'une population de lymphocytes T et B néoformés,
à propriétés immunes différentes. Ces réponses deviennent également
plus intenses, ce qui confirme le rejet plus rapide d‘un allogreffon.
Simultanément, le taux des immunoglobulines s’é|éve dans le plasma, et
tout particulièrement celui des immunoglobulines G.
IV. QUELQUES RECHERCHES ACTUELLES SUR
LA METAMORPHOSE DES AMPHIBIENS
A. Approche méthodologique
Les diverses réponses cellulaires répertoriées au cours de la
métamorphose sont reliées à l’expression de gènes. Beaucoup de travaux
actuels sur le développement des Amphibiens portent sur les profils des
expressions géniques, lors des stades successifs et en différents endroits
de Vorganisme.
Les progrès considérables réalisés par la génétique moléculaire nous
ont permis d'afiiner nos connaissances sur les produits d'expression des
gènes, qu’il s‘agisse cles messagers transcrits ou des protéines codées. A
partir de génes clonés, des séquences nucléotidiques radioactives,
capables de s'associer à des messagers et de les mettre en évidence
(radiosoncles moléculaires), ont été construites. Sur coupes, les messagers
sont visualisés par hybridation in situ, apres application d'une radiosonde,
puis réalisation d‘un protocole raclioautographique. Par la technique des
«Nortnern b|ots», les messagers sont séparés par electrophorése,
transférés sur un filtre, hybridés avec une radiosonde et mis en évidence
par radioautographie.
Les proteines codées sont immunoprécipitées au moyen d'anticorps
monoclonaux spécifiques. Le marquage des protéines par un
radioprécurseur, ou de l'anticorps par une substance chromogéne ou
fluorescente en lumiere ultravioletté, permet la visualisation du précipité.
Ce dernier forme des bandes sur un électrophorégramme (technique du
«Western- b|ot») ou signale l‘emplacement des protéines sur coupes
(immunocytocftimie, immunofluorescence).
L'Amphibien le plus fréquemment utilisé dans les laboratoires est le
Xénope. Cette espece n‘est peut-être pas le meilleur représentant de la
classe des Amphibiens, par son mode de vie strictement aquatique et par
sa physiologie tres marginale qui rappelle parfois celte des Poissons.
Néanmoins, sa reproduction aisée, son élevage facile et, surtout,
l’existence de nombreux gènes clonés chez cette espèce, compatibles
avec la construction de sondes homologues beaucoup plus sûres, en font
un animal de prédilection.
L’utilisation conjointe de ces techniques d’ordre moléculaire a permis
de souligner Pintervention d‘un cortège sans cesse accru de gènes, au
cours du développement, et de démontrer que leur expression est à
l'origine des réponses cellulaires précédemment évoquées.
6

Néanmoins, si la larve en métamorphose peut constituer un matériel de
choix pour la recherche d’expressions géniques au moyen d’outils
moléculaires, beaucoup de travaux de cet ordre se situent encore chez
I'embryon, dont la relative simplicité favorise l’ana|yse.
B. Contrôle de la prolifération et de la différenciation cellulaires par les
proto-oncogénes
Chez de nombreuses espèces, il est maintenant démontré que l‘activité
des gènes de structure est contrôlée par des gènes de régulation, qui
interviennent tout au long du développement. Parmi ces gènes de
régulation, les proto-oncogénes (ou oncogénes cellulaires ou c—oncogénes}
président au développement normal de l’organisme, en maintenant un
équilibre entre les phases de prolifération et de différenciation cellulaires
(Bishop, 1983). Leur dérèglement par mutation, après action d’un agent
cancérigéne, peut les transformer en oncogénes délétéres, induisant une
prolifération anarchique et l'apparition d'une tumeur maligne. Les proto-
oncogénes, qui représentent une famille de genes trés conservés sur le
plan phylogénetique, sont nommés par référence à la tumeur associée. Le
gène c-myc, par exemple, doit son nom à la myélogytomatose aviaire
induite par le virus MC 49.
Lors du développement du Xénope, l’existence des phases de
prolifération et de différenciation cellulaires suggéré un contrôle de ces
phases par les proto-oncogenes. Une corrélation entre |‘expression du
géné c-myc et la prolifération a été mise en évidence. llrléohali et coll.
(1989) ont démontré que les protéines c-myc sont nécessaires à la
segmentation, au stade morula. Les observations effectuées à des stades
plus tardifs ont confirmé une telle corrélation, en associant la présence de
nombreux messagers et une forte activité proliférative. comme on peut le
constater au stade bourgeon caudal (épiderme, vésicules optiques,...) ou
clgrâz une jeune larve (épithélium intestinal, cristallin,...) (Hourdry et al.,
1 8).
Une implication du géné c-myc dans le processus de différenciation
cellulaire est également suggérée par la forte expression du gène dans les
tissus etlou organes cités précédemment, dont la destinée est déjà très
orientée.
Dans les ovocytes, tes produits d’expression du gene c-myc sont trés
stables et s’aocumulent pendant plusieurs mois dans le cytoplasme. Trés
tardivement, aprés la fécondation, ces produits d’expression d'origine
maternelle participent au controle de la prolifération cellulaire chez Iejeune
embryon. Au cours de Vembryogenése, de nouveaux produits sont
exprimés à partir des genes c-myc de l’organisme engendré, et ils se
substituent aux produits d’expression maternels qui diparaissent
progressivement.
Diverses observations ont également confirmé une intervention des
proto-oncogénes c-ras et c-fos dans les processus de prolifération et de
différenciation cellulaires, a la fois chez l’embryon et chez la iarve (Mohun
et al.,1Q89; Andéol et ai., l9Q0).
Les rares travaux concernant l’expression des proto-oncogénes
pendant la métamorphose soulignent leur implication, lors des réponses de
7

prolifération et de différenciation qui s‘lnstallent dans les tissus néoformés
(lvlohun et ai'., 1989}. Cette crise morphogénétique semble a priori trés
prometteuse pour analyser l’expression de tels gènes, ce que nous avons
commencé de réaliser au niveau des épithéliums gastrique et intestinal
avec les gènes c-myc et o-ras.
C. L'adhésîon cellulaire
Chez les Vertébrés, les cellules en contact se reconnaissent gràce à
des molécules d’adhésion glycoprotéiques portées par leur surface (cell
adhesion motecules ou Cnlvls), qui contrôlent la morphogenése. Ces
facteurs empécheraient la poursuite des divisions des cellules et
favoriseraient leur différenciation. L’un d'entre eux a d'abord été signalé
dans le tissu nerveux, d'où son nom (N-CAM). Cette molécule appartient à
la famille des immunoglobulines C (Edelman, 1987). Elle se résoud en une
série de polypeptides, dont les proportions varient dans les tissus avec le
stade de développement, en relation avec une modulation probable de la
fonction adhésive et morphogénétique de la molécule N-CAM.
Chez le Xénope, la N-CAM a été visualisée par immunofluorescence,
au moyen d'anticorps anti N-CAM (Levi et al., 1990). Lors de la
métamorphose, l‘expression de son gène demeure élevée dans le systéme
nerveux central, tandis que d’lmportants remaniements affectent le
cerveau. Une telle expression peut être également provoquée par la
thyroxine dans le foie de tétards en prémétamorphose, alors que l'organe
subit une réorganisation structurale et métabolique.
D’autres molécules d'adhéslon cellulaire, comme les cadhérlnes, sont
plus particulierement remarquées dans les épithéliums qui s’organisent.
Chez ie Xénope en métamorphose, une E-cadhérine est visualisée dans
certains éplthéliums trés remaniée, ou interférent des phases d’histolyse et
d’histogenése, comme les épithéliums intestinal ou cutané (Levi et af.,
1991).
D. Les récepteurs des hormones thyroïdiennes
Beaucoup de travaux portent actuellement sur ces récepteurs
protéiques, à localisation nucléaire et à haute conservation
phylogénétique, qui sont codés par les proto-oncogénes c-erb-A. Ceux-ci
appartiennent à une famiile de genes connue pour exprimer aussi les
récepteurs d’autres signaux de dé-veloppement, dont les hormones
stéroïdes, la vitamine D3 ou l'acide rétinoïque.
Chez le Xénope, les messagers des récepteurs des hormones
thyroïdiennes s’accumulent dans les cellules du tétard, bien avant sa
métamorphose (Baker et Tata, 1990; Yaoita et Brown, 1990). L'apparition
de ces messagers dans les cellules de la trés jeune larve marque le
moment où celles-ci deviennent compétentes, c'est-à-dire capables de
répondre aux hormones.
Suite a leur positionnement sur les récepteurs, les hormones
thyroïdlennes exercent un controle des génes, qu’elles activent ou
répriment, et préparent les réponses cellulaires observées à la
8

métamorphose (Hourdry et Beaumont, 1985). Les protéines réceptrices
pourraient se lier à des éléments définis du génome (éléments de reponse
des hormones thvro`idiennes}, ce qui entraînerait une regulation des
expressions géniques, dont celles de proto-oncogénes (c-myc, c-fos,...).
V. CONCLUSION
Diverses réponses cellulaires sous-tendent le changement de plan
d’organisation que constitue la métamorphose des Amphibiens. Ces
réponses sont provoquées par un ensemble de signaux, parmi lesquels les
hormones thyroïdiennes occupent une place centrale en modulant
Vexpression des gènes. _ _
Les récents progres de la biologie moleculaire ont introduit dans les
laboratoires des outils très précieux (sondes, anticorps,...), permettant une
meilleure analyse du développement. Les travaux actuels d‘ordre
moléculaire portent en grande partie sur les stades précoces (embryons,
jeunes larves), dont la trés relativesimplrcité favorise les observatxons. En
revanche, les crises morphogénéttques comme la metamorphose offrent
encore un large champ dïnvestigation. Le role préponderant des proto-
oncogénes et des facteurs d‘adhésion cellulaires, dont l’activite semble
modulée par les hormones thyroïdiennes, est maintenant annoncé. De
nouveaux axes de recherches sont aussi apparus, qui établissent un
contrôle du plan d'organisation par des facteurs de croissance ou des
gènes homéotiques. En bref, une approche supplémentaire de la
métamorphose, et ce n’est pas |a_ la morndrerde ses qualités, est rendue
possible par les apports de la biologie moleculaire.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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_ Y _ J. HOUHDFIY
Leboretorre Biologie du developpement des vertèbres interieurs
Universite de Paris·Suct, Centre d'Orsay
Betrmenr 441, 91405 ORSAY-Cedex (France)
10

Bull. Soc. Herp. Fr. (1992) 61 : 11-44
I I
LA NEOTENhllîrlîl-|lÈgSE|_î_ER(‘.';È|Jî\TPTEÈSTRITURUS .
DBT
Mtchel BREUIL
Ffésumé - L'absence de métamorphose avec acquisition de la maturité sexuelle (néoténie
totale - péclogenèse) se rencontre principalement chez Triturus alpestrls, T. vulgarls et T.
helveticus. Traditionnellement (voir par exemple Duellman et Trueb, 1985}, on associe la
néotenie à des milieux aquatiques stables entourés par des milieux terrestres hostiles
(lacs oligotrophes d'altitude). Ce portrait-robot est loin de representer la realité. Chez ces
trois especes, la néoténie apparaît dans des milieux aquatiques instables voire
temporaires entourés soit par des milieux favorables soit «délavorab|es». Un milieu
terrestre peut être hostile en surface et tout à fait favorable en profondeur. Ceci est
particulièrement vrai dans les reliefs karstiques, aux cavités souterraines développées, ou
dans tout milieu où les terriers de mammifères sont nombreux. Cette observation et
d’autres arguments sont suffisants pour diminuer le rôle de |'hosti|ité du milieu terrestre
comme facteur sélectionnant les individus génétiquement incapables de se
metamorphoser. La néoténie dans les lacs oligotrophes serait due à un ralentissement
voire un blocage du systéme endocrinien par des facteurs écologiques lfroid, faible
luminosité) occasionne par la fréquentation du fond des lacs dans la journee. Dans les
mllleux instables le déterminisme de la neoténie n‘est pas établi. La neoténie peut aussi
avoir une base génétique plus ou moins inlluençable par les facteurs du milieu. Le plus
souvent les tritons nêoténiques se métamorphosent rapidement en aquarium (‘f mois), mais
dans une même population, dans les mêmes conditions d’élevage, la variabilité est très
grande. L’état nèotênique augmente la variation phénotypique de la population, les
néoteniques apparaissent avantages en milieu aquatique sur les métamorphoses par leur
plus grande aptitude à se deplacer et à stationner dans la colonne d'eau et donc à
exploiter de nouvelles ressources alimentaires.,
Mots-clés : Triturus. Néotnie. Dèterminisme. Ecologie. Adaptation. Population.
Summary - The phenomenon of attaining sexual maturity while retaining the larval
phénotype (total neoteny or paedogenesis) is met mainly in three european newt species:
rlturus alpestrfs, T. vulgaris, T. helveticus. The traditional view of the phenomenon is to
assoclate neoteny with stable and lish—free aquatic medium surrounded by harsh terrestrlal
habitat as in oligotrophic lakes (see E. G. Duellman and Trueb, 1986). his picture is far
from the truth. ln these species, neoteny also occurs in unpredictable and temporary water
bodies surrounded by harsh or favorable terrestrial medium. A harsh surface terrestrial
medium could be propitious in depth, this is true in lirnestone countries or in grounds dug
by mammal burrows. So this line ol argumentation is suificent to minlmize the terrestrial
medium hostillty as the factor leading to the selection ol genetical individuals unable to
undertake metamorphosis. Neoteny in oligotrophic fakes would be induced by a slow down
indeed a failure cf the endocrin system by ecological factors (cold, low brightness) at the
bottom of the lake. ln unpredictable water bodies, neoteny determinism is not clear.
Neoten has also a genetical basis the expression of which can be influenced more or less
by ecollngical factors. Most of the time metamorphosis occurs in about one month in
breeding rooms, but sometimes the newts never metamorphose. Neoteny increases
population phenotypical variability, thus neotenic individuals seem to get an advantage on
metamorphosed ones by their greatest ability to regulate their position in the water column
and thus to prey on new food resources.
Key-words : Triturus. Neoteny. Determinism, Ecology. Adaptation. Population.
Manuscrit accepté le 7 février 1992
1 l

1. iNTHODUCTlON
Le terme de néoténie a été introduit par Kollmann en 1884 dans trois
publications différentes (Kollmann, 1884 a, b etc). La premiére rédigée a
été achevée en août 1883 et publiée en allemand dans le tome 1883 du
··'•/ernano',·'. Naturf. Ges.» à Bâle qui serait paru en 1884 d’aprés Dubois
(1979), en 1882 d'aprés Smith (1951) et en 1885 d’aprés Gould (1977).
Une version française a été écrite en octobre 1883 dans le tome 1883)*84
du «Frec. Zoof. Sufsse» paru en 1884. Cette derniére version correspond à
la traduction du texte allemand avec quelques modifications mineures. Une
communication a été présentée Ie 20 août 1883 a l’Association française
pour l'avancement des sciences et publiée dans ses Comptes Rendus en
1884 avec des remarques de Lataste (1884).
Pour Kollmann, oe terme s’applique d’abord aux tétards d‘anoures qui
prolongent leur séjour dans l'eau. Puis est abordée la comparaison avec le
célébre axolotl qui n'a poussé son développement que jusqu’à |’état de
pérennibranche. L’hypothése de l’atavisme proposée par Weissmann (cité
par Kollrnann) est écartée «car Vamblvstome doit passer par la phase
Iarvaire comme te font tous les tritons. S’il s'arréte en ce point de son
développement normal, si l’axolotl oublie de passer à la vie terrestre, ce
n’est pas un atavisme dans le sens strict du terme». La persistance de cet
état Iarvaire ne correspond pas aux veux de Kollmann à un arrêt de
développement <·car il implique l‘idée d'une cause pathologique, et la
localisation à certains organes (bec de liévre, gueule de loup, spina biflda,
etc.)». Cette vision de l‘arrét de développement me paraît néanmoins bien
restrictive; Koîlmann réserve ce terme à des organes isolés et non pas à
l’ensemble de Vorganisme. «La persistance d’un état inférieur de
|’ontogenése chez des vertébrés aussi élevés dans |’échelle est un fait
biologique absolument nouveau et donc les notions existantes (atavisme,
arrêt du développement) ne cadrent que d'une maniére trés incomplète, et
c'est faire naitre de nouvelles difficultés que de chercher à en faire ici
l’application. C’est pourquoi j'ai proposé le terme de néoténie (de nées =
jeune et de teneia = retenir) pour indiquer la rétention d'une phase de
développementii. Comme on le voit la définition du terme de néoténie se
précise au cours de la pensée de Koltmann. C’est d'abord la conservation
de la forme Iarvaire, puis la rétention d'une phase du déveioppement et
enfin la persistance de I'état imparfait de larve. Trois formulations qui
désignent le méme phénomène a savoir un arrét de développement où a
premiére vue, tous les organes sont touchés à l’exception des gonades qui
peuvent étre capables de produire des gamétes. L’individu est alors un
adulte fonctionnel.
Au cours du développement ontogénique, |’espéce Ambystoma
mexrcanum passe par trois phases : (1) ta phase Iarvaire ou l’individu est
immature, (2) la phase d'Axolotl, c'est-a-dire une forme Iarvaire capable de
se reproduire, décrite au départ sous le nom de Siredon rnexfcanum et
enfin (3) la forme métamorpnosée connue sous le nom d’Ambystome. A
propos de ces transformations, Kollmann écrit: ·=Dans certaines
circonstances, cet animal peut oublier la derniére phase de son ontogénie.
et se contenter de conserver oefle de Sireo‘on=>. Ainsi, Kollmann est amené
12

à distinguer une néoténie totale qui correspond à l’acquisition de la
maturité sexuelle chez des larves, d'une néoténie partielle ne conduisant
pas a la reproduction. On notera que Dubois (1979) en s’appuyant sur
Vétymotogie du terme considere que les appellations de Kollmann ne sont
pas logiques. En effet, un individu capable de se reproduire posséde des
gonades fonctionnelles, o‘est-a-dire le caractere adulte par excellence.
Ainsi, suivant cet auteur, on ne peut considérer qu’il est totalementjuvénile
et donc le qualificatif de néoténie totale ne devrait être employé que pour
les individus ne possédant aucun caractère adulte. La néoténie totale de
Dubois (1979) correspond à la néoténie partielle de Kollmann (1884 a, b et
c) et inversement!
Les facteurs responsables de la néoténie ne sont pas clairement
envisagés par Kollmann, si ce n‘est l'arrivée précoce de |'hiver et une
altitude élevée, autrement dit, de basses températures. Il évoque
Vexistence de conditions internes et externes qui exercent une grande
influence sur les urodéles. Kollmann suppose que la néoténie est due à
une force organique (vitalisme?) qui peut être que partielle - c’est-à-dire ne
os s’exprimer dans toute sa potentialité - et amener simplement à une
hibernation des larves sans pour autant qu’il y ait arrêt de développement,
ou totale et conduire à la maturité sexuelle. La néoténie est une propriété
des organismes qui pourrait entrer en action a un stade quelconque du
développement aussi bien chez les animaux que chez les végétaux. Cette
derniére intuition de Kollmann est des plus justes, la persistance d'une
partie d’un état inférieur de Vontogenése chez des êtres vivants plus
évolués est un des mécanismes actuellement considérés comme des plus
importants dans l’évolutior1 des étres vivants. Il suffit de voir le regain
d’intérél dans cette approche de la biologie de |’évo|ution provoqué par la
sortie de «©ntogenv and Phvlogenyii de Gould (1977).
Camerano a été le premier auteur à suivre Kollmann et à appliquer le
terme de néoténie. Il put méme développer la pensée de Kollmann d’autant
mieux qu'il avait consacré deux importants travaux à la vie branchiale et au
développement des amphibiens (Camerano, 1883 a et b; 1884 a et b).
Camerano (1884 a) écrit «Chez beaucoup d'Ampl·iibies la période durant
laquelle ils portent des branchies se prolonge dans certaines circonstances
d'une façon indéfinie. C’est cette prolongation anormale que l‘auteur
propose de désigner sous le terme de néoténie». Camerano suggère que
«|a néoténie n‘est pas un arrét de développement parce que les organes
qui annoncent |’arrivée GG |'àge adulte sont parfaitement dévetoppés et
peuvent entrer en fonctions (en ce sens. Camerano est en désaccord avec
Kollmann). La néoténie consiste purement dans le fait que |’anima| quoique
bien adulte porte encore comme organe larvaire des branchiesn. En fait,
ces tritons sexuellement matures, peuvent posséder d'autres
caractéristiques larvaires, les branchies n‘étant pas les seuls traits à être
conservés mais ce sont les plus visibles. L‘animal apparaît comme une
mosaique de caracteres métamorphoses et de caractères larvaires avec
toutes les proportions possibles. Pour Camerano (1884 a), «|a vie
aquatique prolongée outre mesure dans ce cas-la amène à des
changements. dans les organes locomoteurs, dans la couleur, dans les
formes du corps, etc., en faisant ainsi passer l'animal de la forme terrestre
13

à la forme aquatique, en lui faisant ainsi repasser par une marche
rétrograde |'échelle phylogénétique. La néoténie résulte donc d'une
adaptation de l’espéce au milieu ambiant, ce qui devient par là une cause
de métamorphose régressive... On peut faire passer les amphibies de la
vie branchiale à la vie pulmonaire, ou vice versa». (sicl).
ll n’est pas dans notre propos de discuter de toutes les définitions
données par ia suite au terme de néoténie, d’autres l'ont déià fait. Pour les
Urodéles européens, on pourra consulter: Schreiber (1933); Gallien (1952);
Fuhn (1963); Delsol (1954); Rocek (1974); Gabrion (1976); Gould (1977);
Dubois (1979 et 1986). Afin d’éviter toute confusion, nous emploierons le
terme de néoténie dans le sens de Kollmann avec la svnonymie suivante:
néoténie partielle = hibernation des larves sans acquisition de la maturité
sexuelle, néoténie totale = pédogenése, c’est-à-dire larves sexuellement
mûres. Comme nous le verrons par la suite, l’empioi de ce terme pose
quelques problémes particulièrement délicats. En effet, l'état néoténique
(paedomorphisme, Dubois, 1986) peut provenir d’un retard du
développement somatique par rapport au moment de l'acquisition de la
maturité sexuelle qui apparaît alors en temps normal ou inversement d'une
acquisition plus précoce de la maturité sexuelle. Comme nous le
montrerons parla suite, la signification de ces deux phénomènes n’est pas
la méme. Il est bien évident que dans une population où la néoténie totale
est présente, elle est associée a la néoténie partielle.
L’objet de cet article est de faire le point sur le déterminisme de la
néoténie en s’intéressant plus particulierement aux populations où la
néoténie est stable dans le temps, en nous concentrant principalement sur
la variété des milieux dans lesquels I phénomène de la néoténie est
rencontré. La confrontation des différents cas de néoténie observés chez
T. atoestris et chez T. vuigaris dans les Alpes, les Balkans et la péninsule
Italienne ainsi que chez T.hel'vet1`CuS dans le sud—est de la France améne à
des conclusions qui s’opposent parfois aux interprétations classiquement
proposées. La raison en est fort simple, les populations néoténiques ne
sont pas cantonnées a un seul type de milieu comme on le lit trop souvent.
Bien qu'elles soient principalement locaiisées a la région méditerranéenne,
il existe d’autres populations de tritons néoténiques qui semblent
permanentes: en Allemagne pour Triturus aijoestris (Henlé, 1983) et
Trirurus herveticus (Van Gelder, 1973), en Hongrie pour le Triturus vuigaris
(Dely, 1967). La néoténie est un probléme avant tout d'ordre écologique
(méme si celle-ci a parfois un déterminisme génétique} et c‘est par |’etude
de |’éco|ogie de ces populations que des éléments précis de réponse
pourront être apportés. Les études de laboratoire sur le systéme
endocrinien devraient amener à établir de manière précise |‘interaction
entre celui-ci et les facteurs du milieu ou dans le cas d'une néoténie à
déterminisme génétique quels sont le ou les niveaux d'action des gènes
impliqués dans son non fonctionnement. En matière de néoténie chez les
tritons les situations sont differentes et il faut se méfier des généralisations
abusives. Cet article n'aborde pas tous les aspects de la neoténie dans le
genre Triturus. Les problémes de déséquilibre de la sex-ratio, des relations
entre néoténiques et métamorphoses d’une méme population, de la
dynamique des populations, de ia métamorphose dans leur milieu naturel,
14

de leur systéme endocrinien, de leur morpho—anatomie, de l'apparition
sporadique d'individus néoténiques, de la labilité du phénoméne... seront
envisagés dans un travail ultérieur en cours d’é|aboration.
ll. DETEHMINISMES DE LA METAMOHPHOSE ET DE LA NÉOTÈNIE
C`est f'hormone thyroïdienne qui est responsable de la métamorphose
des tritons (comme de tous les Amphibiens). Sa production par la thyro`ide
et Vaugmentation de sa concentration plasmatique déclenche la
métamorphose. Elle agit directement au niveau du génome en activant le
fonctionnement de certains gènes ou au contraire en inbibant d'autres. Son
action ne peut avoir lieu que si elle se fixe sur des récepteurs
membranaires et par la suite se trouve transférée sur des récepteurs
nucléaires. Ceux·ci doivent étre présents en quantité suffisante pour
déclencher la métamorphose de la cellule-cible, c‘est- à-dire la
modification de l’expression de certains de ces gènes (voir Hourdry et
Beaumont, 1985). En théorie, toutes les étapes antérieures à la fixation de
la thyroxine sur les récepteurs nuciéaires peuvent présenter un
dysfonctionnement. On ne peut non plus écarter l’absence de
reconnaissance des séquences géniques à réguler par le complexe
récepteur- thyroxine. Cependant cette derniére hypothèse peut être rejetée
dans la majorité des cas puisque les tritons néoténiques conservent la
possibilité de se métamorphoser en présence de thyroxine exogéne comme
l‘ont montré Hadzimahmutovic-Tvrkovic (1966) et Pocrnjic (1968) sur T.
aipestris monrenegrinus. Les différentes études réalisées sur le systéme
endocrinien des tritons néoténiques révèlent, à une exception prés (Von
Ebner, 1877), |‘e><istence d'une thyroïde inactive se caractérisant par une
taille réduite (Kuhn, 1925; Hartvvig et Fiotmann, 1940; Seliskar et Pehani,
1941, Pocrnjic, 1962 (cité par Pocrnjic, 1968), Andreone et ai., 1991; Breuil
et Briançon, inédits). Cette inactivité peut être due à une des trois causes
suivantes bloquant une, voire plusieurs étapes, des réactions biochimiques
amenant à la libération progressive d’une quantité de plus en plus
importante de thyroxine: (1) mutation amenant à la production d'une
enzyme toujours inefficace et rendant inactif l’axe hypothalamo-
hypophyso-thyroïdien, (2) facteur épigenetique btoquant ou ralentissent le
fonctionnement de cet axe et (3) mutation qui suivant les conditions du
milieu amènera le fonctionnement ou le non fonctionnement de cet axe
endocrinien. Cette derniére hypothèse correspond à fa notion de terrain
génétique favorable a l’apparition de la néoténie. Ftien a priori n'impIique
que tous les cas de néoténie soient imputabfes à une seule et unique
cause. De plus, au sein d'une méme population, le déterminisme de la
néoténie peut étre différent d'un individu à l'autre. Ainsi, dans une
population de tritons pédogéniques, on pourrait rencontrer au moins trois
catégories d'individus selon leur comportement métamorphique: (1) des
individus qui se métamorphoseront quelles que soient les conditions du
milieu, (2) des individus qui seront toujours néoténiques et (3) des
individus qui se métamorpnoseront suivant les conditions du milieu. Ainsi,
plus les populations vivent dans un milieu froid, plus te taux de néoténie
devrait étre élevé puisque les individus du troisieme groupe deviendront
pédogéniques par effet de milieu.
15

III. I,A NEOTENIE_: UNE REPONSE ADAPTATIVE
A L’HOSTILtTE DU- MILIEU TERFIESTFIE ?
Le point important est de cerner les facteurs responsables du
phénomène de la néoténie. La seconde hypothèse envisagée ci-dessus
correspond aux premières explications proposées: manque d’iode qui
empêche la synthèse de thyroxine (Champy et Demay, 1950), facteur
antithyroïdien (Dodd et Caltan, 1955), températures basses diminuant la
vitesse de développement (Camerano, 1883 a, Despax, 1920, Smith, 1951,
1973), mais surtout abaissant la sensibilité des tissus périphériques à la
thyroxine (voir par exemple Hourdry et Beaumont, 1985). Elles sontjugées
vmechanistic and non evolutionary» par Gould (1977) bien que cet auteur
reconnaisse qu'eIles puissent éventuellement intervenir, «but leave open
the issue of whether any adaptative significance can be ascribed to
consistent patterns in the frequency of paedomorphosistt. Sprules (1974)
brosse à propos des Arnbystorna un tableau des conditions écologiques
dans lesquelles la néoténie totale se rencontre. Ainsi, le portrait·robol des
milieux abritant des populations néoténiques correspondrait à des points
d’eau entourés par un environnement terrestre hostile avec des
fluctuations importantes de la température, un manque de  ïtes terrestres
et de nourriture, une faible humidité, un milieu aquatique permanent et
stable, dépourvu de poissons. Ce tableau brossé par Sprules (1974)
s'app|iquerait aussi, d’aprés Duellmann et Trueb (1986), à plusieurs
especes de Triturus. Ces auteurs écrivent: vbut in each species (of
Triturus) neoteny occurs in population living in permanent water in harsh
terrestrial environmentsv. Pour Trirurus arjcestris Gould (1977) et Sprules
(1974) s’appuient sur Wilbur et Collins (1973): «On the plains of France
and Italy the newt Trirurus alpesrris métamorphoses, but at high altitude
neoteny is common». Ce passage aurait été emprunté à Steward (1969); BH
fait il provient de Smith (1951) et a été tronqué du morceau suivant «due
presumably to the cold, the development of the tadpole is greatly retarded,
and after long residence there a oreed has evolved in which neoteny is
commonn. A lire Smith, la néoténie serait d’abord due à un eflet
épigénétique (le froid), puis à |'apparition d‘une lignée, à la suite d'une
mutation où la néoténie deviendrait un caractère fixé. Autrement dit, un
effet Baldwin non déclaré ou une assimilation génétique (lvlatsuda, 1982).
Quoi qu’il en soit, en Italie, contrairement à ce qu‘alfirme Smith (1951 et
1973), la néoténie peut se rencontrer à de basses altitudes (Camerano,
1883 a). Depuis les travaux de Camerano, de nouvelles populations de T.
a. apuanus néoténiques vivant à de basses altitudes sont connues
(Andreone, 1990) et certaines d'entre elles occupent des milieux
aquatiques instables voire temporaires (Andreone et Dore, sous presse;
Andreone et al., sous presse). Il en est de méme pour T. a. inexpectatus
(Dubois et Breuil, 1983)(lig.1). Dans les Balkans, la néoténie apparaît chez
T. aiioestris et T. vuigaris, ces populations habitent parfois dans des
milieux aquatiques instables à des altitudes inférieures à 850 m (voir p.
17). Il est dommage que de telles images erronées (hostilité du milieu
terrestre, stabilité du milieu aquatique) reposant sur d‘anciennes données
soient colportées dans la littérature sans examen critique et fassent par la
suite autorité.
16

  .- iii î ·``—   "  `   " sgtûîa  ·'
  1.Q.q!·; ` î · 
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_   __, :__ _   I _ - — .   _____ :·_  
Figure 1: Lago dei Duo Uominl, Calabre, Italie, 1077 ms C'est un lao temporaire situé au tend d’une
cuvette entourée d'Une forêt de leuillus. ©‘est la localite type de 7. a. fnexpectatus Dubois & Breuil
1983. Cette sous·espèce présente une tendance à la néoténre. I rtalrcus et I camrrax se
reproduisent aussi dans ce lac mais se metamorphosent normalement. Dans cette locallte, ce :·t'est
pas le milieu terrestre qui est hostile mais IB milieu aquatique I
·     _.«f .   '-; =u-=· .. —
  `,1f·-Q`   -    `È— -  ,_   _, _·-gs,  ;;jg·‘Éï·     '_.— · 3
-'.f:_î' ·__., €  "  V - __ _ ·'     . ‘-‘;i;ÉÉmf:iM.*"'-whlql      . -,,à:_:L!'-v?Q•·ï"
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Figure 2: Mare de Vitoio, Garfagnana, Italie, 55(J] m. C'est un abreuvoir artiliciel d’au moins un metre
de protoncieur qui abrite des T. a, apuanus neoténiques. Ce milieu aquatique est envahi par la
vegètetrorr. Des tritons crêtès se métamorphosant normalement s’y regroduisent. La température
peut sans doute atteindre des valeurs eleveesen été ce qui est tavora ie à la métamorphose. Le
mmeu terrestre est formé d'une prarne au pied du village.
1 7

Comme on vient de le voir, Phypothese proposant te blocage direct de la
métamorphose par les facteurs du milieu ne fait pas l’unanimite. Le milieu
n'aurait pas vraiment son mot à dire dans cette altération du cycle de
développement; elle est trop mécaniste. On lui préfére souvent le tout
puissant pouvoir des gènes sur le développement. Autrement dit une
néotenie à déterminisme héréditaire sur laquelle le milieu n'aurait aucune
prise.
Pour des auteurs nord-americains comme Wilbur et Collins, Gould,
Duellmann et Trueb, la neoténie n‘apparaït pas comme la conséquence de
la vie dans un milieu donné, générateur de contraintes de développement.
Elle apparait comme le résultat de la sélection naturelle favorisant, c’est-à-
dire donnant de plus grandes chances de reproduction, à des animaux a
moeurs plus aquatiques qui evitent ainsi d’aller mourir d’inanition ou de
déshydratation dans un milieu terrestre qui leur est hostile.
Parmi les mutations créant le polymorphisme génétique, il doit en
exister qui amenant a des perturbations du fonctionnement de |’axe
hypothalamo-hypophyso-tnyroïdien; le résultat est Vabsence de libération
en quantité suffisante de thyroxine (T4 et T3) dans le milieu sanguin et
donc l’absence de métamorphose. De la méme maniere, il peut exister une
perturbation, d'origine genetîque, au niveau des cellules des tissus
périphériques qui deviennent incapables d’agir sur leurs genes impliqués
dans la métamorphose. Comme toute mutation qui se respecte, la
fréquence d’apparltion reste faible. On pourrait interpréter ainsi les tritons
pédogéniques trouvés sporadiquement dans différents milieux. Par leur
fréquence d'apparition, ces tritons néoténiques font penser aux individus
présentant des anomalies de pigmentation (albinisme, flavisme,
melanisme...) dont l’origine génétique semble indéniable. De plus, on
rencontre avec une frequence plus faible des tritons néoténiques albinos
qui semblent presenter une néotenie stable, c'est-à-dire persistante en
dehors du biotope originel (Schreitmüiler, 1923}. Dans cette situation on
pourrait évoquer un dysfonctionnement au niveau de Vhypophyse touchant
la libération de TSH et de MSH.
Pour que cette mutation provoquant la neoténie (quel que soit son
niveau d’action} se repande dans la population, il faut que son porteur
posséde un avantage sélectif sur les individus métamorphoses ou alors
qu'e||e apparaisse dans une population d‘effecti¥ reduit. Dans cette
derniére situation, sa diffusion dans la population, par le ieu des
phénomènes aléatoires, peut se faire indépendamment de tout avantage
sélectif que ce soit par rapport au milieu terrestre ou par rapport au milieu
aquatique. A en croire Sprules, Gould et bien d’autres, l'avantage implicite
du neoténique chez les Ambystomes et donc les tritons résulterait dans
Vaugmentation de la durée de vie liée à la disparition de la mortalité en
milieu terrestre puisqu’iI ne semble pas exister de différences dans |'âge
d’acquisition de la maturité sexuelle entre les métamorphoses et les
néoténiques d’une même population (Sprules, in Gould, 1977). Par une
étude squeletto-chronologique, Smirina et Solianidou (1985) ont montré
que les tritons métamorphoses et néoténiques du lac Dracolimni dans les
monts du Pinde en Grece (Timphi, voir Breuil et Parent, 1988) ont une
duree de vie qui atteint 6-7 ans. C’est une valeur inférieure a celle trouvée
par Breuil (1986) (9-10 ans) pour des populations de triton alpestre à cycle
18

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Figure 3: Lac de Qeranne. Ffarc National des Ecrins, France, 2346 rn. Lec oligotrophe de 2 à 3 rn de
profondeur entoure par des eboulls rocheux et de la pelouse alpine rase battue par des vents parfois
violents. Les lritons alpestres adultes métamorphoses de ce lac semblent hiberner pour |’essentie|
dans |'eau comme nous l'avons observe dans tous les lacs d'a|titude du Parc National des Ecrins.
Les larves ne se metamorphosent qu‘apres une ou deux hibernations. La pêdogenèse n'est pas
connue dans cette station ou le milieu terrestre apparait hostile !
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Figure 4: Jezeru. Parc National du Triglav, Slovenie, 1450 m. Lac de 8 m de profondeur situe au
fond d‘une cuvette, entouree de foret de conifères. Ce lao abritait des tritons alpestres
metamorphoses et neotenlques ainst que T. vufgar.·`s et T, camffex se metamorphosanl normalement
(Sellskar et Pehant, 1935). Lestrltons alpestres noteniques frequentaient les zones les plus
profondes du lao. Les tritons ont ete detruits par un alevinage à la fin des annees 1930. Dans cette
ocaltte, ni le milieu terrestre, ni le milieu aquatique ne sont défavorables aux tritons,
19

normal des Alpes vivant à altitude égale dans des iacs oligotrophes
entourés par des milieux terrestres dont l‘hosti|ite apparente n’a rien à
envier aux précédents (fig. 3). Avec la même technique, Andreone et al'.
(sous presse) ont montre que les populations de tritons neoténiques ont
des ages moyens interieurs (2,9 à 3,5 ans) à ceux de populations de tritons
métamorphoses (4,2 à 7,8 ans). Nos observations sur le triton alpestre du
lac de la Cabane (fig. 9 et 10) et des lacs d'altitudes du Parc national des
Ecrins (Breuil, 1986) sont globalement en accord avec cette idée. De plus,
les tritons métamorphoses, aussi bien mâles que femelles du lac de la
Cabane, sembtent legerement plus petits que les pedogeniques, mais la
différence n’est pas significative. Nos observations actuelles en aquarium
montrent que certains individus neoteniques immatures âgés de deux ans
entreprennent une métamorphose plus ou moins rapide i et acquièrent
progressivement, en automne et durant l'hiver, les caracatéres sexuels
secondaires. Apres dix mois de captivité, la métamorphose de ces
individus n’est toujours pas achevée. Les jeunes mâles possèdent la
coloration des métamorphoses sexuellement matures mais exhibent encore
des arcs branchiaux bien développés. Ces observations sont tout à fait en
accord avec celles d’Andreone et af. (sous presse). Nous pensons que
cette maturité sexuelle précoce est due a une alimentation importante et
variée tout au long de l'année entraînant une croissance plus rapide que
celle des tritons allant à terre. En toute rigueur, il faudrait être capable de
preciser le parcours ontogenique d’un triton métamorphose, c‘est-à-dire
pouvoir préciser Page auquel il s’est métamorphose. Si l’on admet que la
longueur totale est bien corrélée avec l'âge pour des animaux ayant le
même cycle (Breuil, 1986), on en déduit que les neoteniques et les
métamorphoses d'une meme population ont une espérance de vie voisine
(Smirina et Sofianidou, 1985). Ainsi, la disparition de la mortalité liée à la
vie en milieu terrestre ne semble pas étre un avantage des neoténiques sur
les métamorphoses. Ceci est o"autant plus vrai que l'on rencontre des
populations néotenlques de triton alpestre dans des milieux aquatiques
oligotrophes, eutrophes, stables, instables, voire temporaires entourés par
des milieux terrestres des plus favorables (forets humides, prairies sur
relief l<arstique)(fig. 3, 4, 5, 6, 7, 11, 12). Ceci est egalement vérifié pour T.
vulgarfs en Yougoslavie (Kalezic et al., 1990). De plus, dans ces milieux
terrestres réputés hostiles de Yougoslavie, on rencontre aussi bien des
populations de triton ayant un cycle normal que des populations
neoteniques (Breuil et Guillaume, 1985; Dzukic et al., 1990). L’hostilité du
milieu terrestre est une caractéristique ecologique des plus mal définies
d'autant plus que les informations sur la biologie des tritons durant leur
phase terrestre font défaut.
Les naturalistes s’intéressant aux urodéles le savent bien, il est tres
difficile de trouver des tritons âges métamorphoses en milieu terrestre.
Tout au plus, à force de soulever des pierres ou des troncs, on rencontre
autour des points d’eau quelques individus sporadiques. Leur nombre n’a
rien à voir avec ce que |’on est en droit d’attendre au vu de la taille de la
population aquatique. C‘est dans les forêts humides de conifères du
Montenegro que nous avons trouve le plus de tritons en phase terrestre.
(1) Après dix mois de captivité, la métamorphose n’est toujours pas achevée. Les jeunes mâles
possèdent la coloration des métamorphoses sexuellement matures mais exhibent encore des
branchies encore bien développées.
20

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, ll   Ill -" ~·.·.'. r.,_. I-hifi .·'     '
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Sigur? 5:4Draâ:o|imnÉ dg Smîlikas, Mon}? du Ends; Gsrrèoe, 2200 rn. C'est un lac oligotrophe
'env ron m e pro on eur. es tritons . a. v uch en s) n'apparaissent en nombre qu après le
coucher du soleil ou quand le temps est couvert. Che; les adultes, les trois quarts des individus sont
PBUOQÈFIIQUBS. Les larves demeurent au fond (au froid et à Pobscurrté) ]usqu’à leur maturité. Dans
une petite mare situee a 1,5 km et a la meme altitude, des tritons alpestres se reproduisent, mais à
lexoeptron de quelques larves ayant hrberne, la neotenie n'est pas rencontres. C'est le même type
de mllreu terrestre qui entoure ces deux milieux aquatiques.
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Figure 6: Bukumirsko Jezero, Monténégro, _Yougos|avie, 1430A m. Lac oligotrophe mais riche en
plancton d'au moins 10 m de profondeur srtue au fond d'une petite vallée partiellement entourée de
conifères. Ce lac oonstitue la localité-type de If a. rnonrenegrrnus Ftadovanovic 1951. Cette sous-
espece est consrdèree comme entierement neoténique. Quelques rares tritons alpestres
normalement metamorphoses vivent dans oe lac. Breuil et Guillaume (1985) considèrent que oe
taxon est a rncture dans la sous—espeoe arpestris. Les tritons neoteniques se cachent durant le jour
dans les èboulrs de la zone littorale et au fond. Ils se développent au froid et à Pobscurlte (Breuil et
Thuot, 1983).
21

Que le milieu aquatique soit situé en prairie alpine, au milieu d’éboulis de
rochers ou entouré par des forêts, les tritons en phase terrestre sont le plus
souvent inaccessibles. Ils sortent la nuit, de maniere irréguliére, rarement
quand il pleut contrairement aux salamandres é moins que leur gîte ne soit
complétement inondé. Ils passent leur temps dans les galeries de
rongeurs, ou d'autres animaux creusant un terrier. En relief karstique
recouvert par des prairies alpines, nous en avons observé des dizaines
dans les réseaux souterrains. Dans ceux-ci, ils trouvent une température
plus fraîche qu’en surface, une humidité convenable, un abri contre le gel
et une profusion d’invertébrés, principalement des vers de terre dont ils
font une trés grande consommation. Ils y sont actifs la nuit, mais aussi le
jour. Telles sont les observations que nous avons pu faire, entre autres,
autour d'une mare dans la région parisienne et en captivité dans un
aquaterrarium extérieur aménagé à cet effet. Cependant, on ne peut nier le
fait que les milieux terrestres puissent étre hostiles en surface. La
découverte de cadavres de tritons métamorphoses sous des pierres, voire
en surface autour des lacs a population pédogénique |'atteste (Breuil,
1986, Breuil et Parent, 1988; Breuil, inédit). Comme nous venons de le
voir, les tritons et les ambystomes sont des animaux qui vivent sous terre à
l‘abri de tous les malheurs dont les menacent Wilbur et Collins, Sprules,
Gould, Duellmann et Trueb et leurs nombreux disciples.
Le portrait classique des biotopes à population néoténique de tritons ne
se caractérise pas par les facteurs du milieu terrestre qu’0n lui préte. Dans
ces milieux d’altitude, l‘adoption d'une vie entiérement aquatique, par le
phénomène de la néoténie, ne nous paraît pas être un avantage décisif par
rapport aux tritons qui se métamorphosent normalement. En effet, dans
certains lacs une proportion plus ou moins grande de tritons
métamorphoses demeure dans l'eau toute l'année (Thorn, 1969; Breuil,
1986; Andreone et Dore, sous presse; Andreone et ar., sous presse). Dans
les situations où la néoténie a une base génétique, les facteurs sélectifs, si
ils existent, faisant évoluer la population vers la néoténie ne nous
paraissent pas devoir être oherchés dans le milieu terrestre, mais plutôt
dans le milieu aquatique,
IV. LA NEOTENIE : UN AVANTAGE EN MILIEU AOUATIQUE ?
Si une diminution de la mortalité terrestre n'est pas le facteur sélectif
favorisant les individus néoténiques, quel est donc |'avantage des
néoténiques sur les métamorphoses? La question est loin d'étre simple.
Trois espèces de triton (T. afpesrrfs, T. vulgaris, T. helvericus) forment des
populations néoténiques. Comme celles-ci fréquentent des milieux
aquatiques allant de la mare artificielle eutrophe, voire dystrophe au lac
oligotrophe de plusieurs km2, miiieux pouvant étre stables ou temporaires,
les avantages des néoténiques, si avantage il y a, ne sont peut-étre pas les
mêmes d'une espece à l‘autre, voire d'une population à l'autre. Ainsi, nous
allons aborder le probléme de la biologie des populations néoténiques par
milieu et par taxon.
22

A- Lacs otigotrophes
Comme nous l’avons vu ci-dessus, c’est la découverte des premières
populations de triton alpestre néoténique dans des lacs de montagne qui
est à l’origine du portrait-robot de la néoténie dans le genre Trirurus. S’il
est vrai que chez cette espèce, ta néoténie est souvent associée à ce type
de milieu, force est de reconnaitre que ce n’est pas la situation générale.
Dans les Alpes dinariques, d’aprés les données de Dzukic et at. (1990) et
nos propres observations, sur les 22 populations néoténiques de triton
alpestre actuellement connues, seules 15 vivent dans ce type de milieux.
Les sept autres peuplent des points d’eau eutrophes naturels ou artificiels
du krst dinarique à des altitudes inférieures à 850 m. Dans les monts du
Pinde, deux ensembles de population néoténique sont connus (Breuil et
Parent, 1988). Chacun est formé d’un lac glaciaire oligotrophe à environ
2000 m d'altitude. Curieusement, chacun de ces lacs porte le nom de
Dracolimni. L’un est associé à une zone marécageuse, l‘autre (fig. 5) à une
mare. Le taux de néoténie est trés important dans les iaos et environ 10
fois plus faible dans les milieux associés. Depuis nos travaux (Breuil et
Parent, 1988), de nombreuses recherches ont été entreprises par les
naturalistes grecs qui ont amené a la découverte de nouvelles localités de
triton alpestre (Adamakopoulos et ar., 1987; Adamakopoulos et
Hadjirvassanis, 1988). Le Dracolimnl du Tvmphi et un lac voisin (Fiizina)
ont été victimes d'une mort en masse; 300 et 700 tritons, larves,
néoténiques, métamorphoses ont été découverts en avril 1988 dans l’eau
libre de glace dans chacun de ces lacs (Papaioannou, 1988). Un
phénomène de ce type a déja été signalé en France (Le Parco etail,1981).
Les causes de ces mortalités ne sont pas connues, mais on a suggéré
l’apport de pesticides ou d'autres substances toxiques par tes vents. De
plus, mais sans lien direct avec ces mortalités, les craintes que nous
avions exprimées à maintes reprises (Breuil, 1985) se sont avérées
fondées. Ainsi, Draoolimni du Tvmphi a été aleviné en truite arc·en-ciel
(Saimo gairdneri) (Papaioannou, 1988). ll est donc à craindre que cette
population disparaisse complétement comme bon nombre d'autres
populations néoténiques des Balkans.
En Italie, les populations néoténiques de triton alpestre habitent aussi
une grande diversité de milieux naturels, artificiels (Breuil, 1986)(fig. 2),
permanents et stables (Lanza, 1948, 1956, Andreone, 1990), à niveau
variable voire temporaire (fig. 3) (Dubois et Breuil, 1983, Dubois, 1983,
Andreone, 1990, Andreone et at., sous presse). La néoténie tr est
exceptionnelle chez T. vutgaris ( Lanza, 1983). Dans les péninsules
Italienne et Balkanique, le triton alpestre peut cohabiter avec T. vuigarfs et
T. carnifex ou T. o‘obr0g.·'cus. Soit une des espèces est néoténique, soit
aucune des deux, mais pour l‘instant on ne connaît pas de situation où les
deux espèces syntopiques forment des populations néoténiques.
Cependant, Kalezic et Dzukic (1990) rapportent la découverte d’un T.
.vu!garis néoténique et d’un T. carnifex néoténique dans la même mare
eutrophe.
Ces constatations d’ordre écologique nous ont amené a rechercher
dans le milieu aquatique des différences de comportement entre les tritons
alpestres néoténiques et les tritons alpestres métamorphoses. Dans les
23

lacs oligotrophes, i‘eventuel avantage des néoténiques sur les
métamorphoses aurait pu être découvert par Seliskar et Pehani (1935) (fig.
4). Breuil et Thuot (1983) (fig. 6), Breuil (1986), Breuil et Parent (1988) ont
précise les grandes lignes de l’écologie des populations néoteniques de
triton alpestre balkanique. La neoténie est avant tout un phénomène
naturel dont la diversité de la phénoménologie empêche l’existence d’une
explication unique. Si chez Trirurus, pour les cas étudiés de ce point de
vue, la néotenie apparaît comme un blocage de la fonction thyroïdienne, il
reste à déterminer précisément, au niveau endocrinien supérieur, les
facteurs de ce btocage et l'influence du milieu sur l’axe hypothalamo-
hypophyso-tbyroïdien.
Des etudes biométriques (Ftocek, 1974; Dzukic, 1981; Tucic et al'.,
1985; Durovic, 1988), souvent dissociées du contexte écologique de la
néoténie, ont mis en évidence que les dimensions qui montraient la plus
grande variabilité entre les néoténiques et les métamorphoses étaient
celles touchant a la locomotion et a la forme de la tête. En effet, toutes les
etudes biométriques et morphologiques réalisées chez les tritons
néoténiques, T. arpesrrfs (Kalezic er ai'., 1989; Kalezic et ai., 1990,
Andreone, 1990), T. vuigarfs (Tucic et Kalezic, t984; Tucic et ai'., 1985 ;
Kalezic et ai., 1990), T. neivetfcus (Gabrion, 1976) mettent en évidence,
une grande largeur de la tete, mais aussi une petite ouverture buccale, des
membres gréles, une queue élevée avec des crêtes dorsale et ventrale,
autrement dit la conservation de certains caracteres larvaires. Ainsi, pour
Tucic et ai'. (1985), Kalezic et ai. (1989), la néoténie augmente la variation
phenotypique de l’espece et donc élargit sa niche écologique, ce qui
diminuerait ia compétition intraspécifique. Nous sommes tout à fait
d'accord avec ce point de vue. Ces memes auteurs supposent donc que la
néotenie facultative est apparue comme un moyen évolutif qui minimise la
compétition intra spécifique. Ceci reste à démontrer en précisant
l’avantage que possèdent les néoténiques sur les formes métamorphosees
et le déterminisme de cette néoténie (contrainte du milieu, déterminisme
génétique, interaction des deux facteurs précédents). Le triton alpestre
métamorphose, tout comme le triton crete, vit sur le fond des piéces d’eau;
le il n’expioite que les invertébrés vivant sur et dans la vase. ll chasse
principalement à l’odorat, mais les autres sens peuvent intervenir. Il se
nourrit également en surface. Pour moi, l’avantage de l'état néoténique
dans les lacs oligotrophes réside dans la capacité qu’ont ces animaux à
exploiter trophiquement toute la colonne d'eau du lac (Breuil, 1986). La
petite bouche des nécteniques associée à la présence des fentes
branchiales ouvertes facilitent la prise alimentaire en pleine eau. Ainsi,
l‘ouverture brusque de la bouche, crée une dépression à l'origine d’un
courant d'eau charge de plancton. Comme la cavité buccale a une petite
ouverture, |’eau entre tres rapidement dans celle-ci et ressort par ies fentes
branchiales. Triturus vuigaris est capabie egalement de chasser à vue en
pleine eau comme l’alpestre néoténique, ce que ne font pas Trfturus
crfsrafus, T. heiverfcus et T, marmorarus. Cette opinion est en partie
partagée par Reilly (1987) qui considéré que la neotenie aurait une
certaine valeur adaptative si elle amenait un avantage pour une nutrition
aquatique ou un moyen d'eviter un environnement terrestre peu favorable.
Les observations de Seliskar et Pehani (1935) apportent des élements
24

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F_Igure_7: Kapetanovo Jezerc, Monténégro, Yougoslavie, 1678 m. Lac oligotrophe de grande
drmensron d’au moins 20 m de Blrotondeur, C‘est la localité type de T. a, prperranus que I’on
rencontre également dans le lac anito (1773 m) situé juste au-dessus de lui. Ces deux lacs se
situent dans un karst recouvert d'une pelouse alpine rase. Les trltons alpestres normalement
métamorphoses se rencontrent dans ces deux lacs _et dans les meres et ruisseaux karstiques les
entourant, La population de Kapetanovo Jezero a ete detrutte par un alevlnage à la tin des années
1970. Celle de Mantto_extste toujours. l.es trttons neotenlques de ce lac se rencontrent plus en
profondeur que les metamerphoses. La encore, ce sont les conditions du milieu aquatique qui
entraînent Pebsence de metamorphose.
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Figure S: Mare situee a quelâues centaines de metres de Kapetanovo Jezero, 1600 m. Dans ce
type de mare se reproduisent es trttons alpestres qui se metamorphosent normalement. Les jeunes
et_ les adultes metamorphoses s'entoncent dans les crevasses et le reseau karstique souterrain. Le
milieu terrestre est le même que celui entourant Kapetanovo et tvlanlto Jezero. Dans ce cas-là, on
voit mal comment les trttons neotentques seraient selectionnes par rapport a Fhostilite du milieu
terrestre. Breuil et Guillaume (1985] ont montre que les nécténiques de ces lacs, les larves et les
metamorphoses sxntoplques et sympatrtques présentaient les mêmes frequences allèllques.
25

intéressants sur les differences dans la biologie entre les tritons
métamorphoses et neoténiques. La popuiation qu’i|s ont étudiée fréquentait
un lac eutrophe des Alpes Juliennes (Slovenie) (fig. 4). Les tritons
alpestres cohabitaient avec des T. crfstatus et des T. vufgarfs se
métamorphosant normalement. L‘alevinage du lac a dtruit la communaute
d'Urodeles (Breuil et Thuot, 1983, Breuil, 1985). D'une maniere générale
les tritons neoteniques se trouvaient à une plus grande profondeur que les
tritons métamorphoses qui étaient vus plus fréquemment en surface
prélever de |'air. La dissection de ces tritons a montré des différences
spectaculaires dans la couleur de |'appareil génital. Chez les femelles
neoténiques, les oeufs etaient brun-orange; chez les métamorphosees, ils
étaient clairs, légérement jaunâtres. Les corps gras, aussi bien chez les
mâles que les femelles prenaient une teinte orangé chez les neoténiques,
safran clair chez les métamorphoses. Ces differences de coloration furent
attribuées à une nourriture riche en plancton. Cette impression a été
confirmée par l’etude des contenus stomaoaux. Les tritons neoteniques
consommaient essentiellement des Dapnnia et des Bosrnina (Crustacés,
Cladocéres) qui vivent en pleine eau, mais aussi, en moindre quantité, des
habitants de la vase (Siaris, Chfrorromus, Ephémeres, Trichoptéres,
Pfsio‘r'urn...). En revanche, les métamorphoses se nourrissaient
d’invertebres benthiques vivant le plus souvent près de ia rive et des
insectes aériens tombés accidentellement dans l’eau. Le plancton n‘était
capturé qtfoccasionnellement par les métamorphoses. Les deux formes
prelevaient des oeufs et aussi des larves de tritons. Ces observations
montrent clairement la séparation ecologique de ces deux phases
ontogéniques; elles ne fréquentaient pas exactement ies memes biotopes
et n‘avaient pas ia meme alimentation.
La separation écologique des deux formes a été aussi observée au lac
Bulrumir (localité type de T. a. montenegrinus) par Pocrnijc (1968) et Breuil
et Thuot (1983) (fig. 6). Cette population semble contenir un taux tres faible
d'animaux métamorphoses 3-4% pour Badovanovic (1951), 14-15% pour
Kalezic et ai. (1989). Ces differences peuvent s’expliquer par des
conditions climatiques qui certaines annees sont plus favorables à la
métamorphose des larves. Au lac lv1anito(|\.»1ontenégro),on observe un taux
de métamorphoses tres nettement supérieur (75% d'apres Kalezic et af.,
1989) pour un lac écologiquement equivalent, mais situe environ 300 m
plus haut. Nous avons interprété ce fait par l'apport massif d’individus se
métamorphosant dans les petits trous d'eau bordant les bords du lac
(Breuil et Guillaume, 1985) (fig. 7 et 8). De toute maniere, il est trés difficile
d'estimer le taux de neotenie dans une population puisqu'une grande partie
des individus néoténiques et des larves reste cachee au fond du lac aussi
bien de jour que de nuit (Breuil et Thuot, 1983; Breuil, 1986; Breuil et
Parent, 1988). Le cas le plus spectaculaire est fourni par Vextraordinaire
population du Dracolimni du Smolikas (fig. 5) où, par grand soleil, tous les
individus métamorphoses, pédogéniques, larves se cantonnent au fond du
lac et ne commencent à remonter vers les berges que vers 18h à
|'exception des individus les plus petits qui restent au fond (Breuil et
Parent, 1988). Il est a noter que ce lac est le seul que nous connaissons où
ies berges sont dépourvues de végétation, de blocs de rochers,
d'anfractuosités dans la berge dans lesquelles les tritons Peuvent se
28

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Figures 9 et 10: Lac de le Cabane, Seyne-les—A|pes, France, 1995 rn. C'est un lac oligotroghe, riche
en pfartcton, à niveau variable, susceptible de s‘assecher certaines années. ll est compos de Adeux
parties. Au premier plan, une partie peu profonde d'envlron deux metres, au second plan, au nrveau
des sapins, une partie profonde atteignant 11 m en pleine eau, sèparee de la premrere par un
éboulis. Sur la photographie du bas,r| ne reste que deux metres dfeau dans la partle_prolonde. Le lac
se situe dans une cuvette d‘èboulrs entouree ar une elouse al une rase et une foret de sa ins. Les
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trois quarts des trrtons aipestres vrvant dans ce lac sont neoteniques. lis demeurent au fond du lac
quand la luminoslte est trop lorte et remontent sur les bords avec la drmrnulron de celle-ci. Ils se
développent dans des conditions peu favorables a la métamorphose. C'est dans ce massif que les
derniers I e. apuarr us de France ont ete trouves. Les tritons du Lac de la Cabane possèdent des
alleles de I a, apuanus (Breuil, 1986), mars ceux—ci sont neanmorns des I a. alpestris.
27

dissimuler durant le jour. Dans cette population le taux de néoténie serait
de 22;*95 x 100 = 74%. La présence de ces trois catégories d’individus au
fond du lac semble se présenter comme une exception à la tendance
générale mise en évidence chez le triton alpestre. Dans cette population,
les individus adultes qui se sont métamorphoses à partir d’individus
pédogéniques se comportent en fait comme les individus dont ils sont
issus. IIS sont encore éthologiquement néoteniques. Une différence
importante réside dans le fait que ce lac dépourvu de végétation ne
comporte que tres peu de plancton. Nos observations sur le comportement
alimentaire et l’anaiyse des déjections montrent clairement que toutes ces
catégories de tritons se nourrissent d’invertébrés benthiques
(principalement des petits mollusques bivalves) alors que dans la mare
voisine (lvlicrilimni) où la métamorphose dans l’année est le phénomène
normal, ce sont les limnées qui sont principalement consommées. Faute de
plancton, l’état neoténique ne présenterait pas d'avantage en milieu
aquatique; le milieu terrestre étant quant a lui compose par une pelouse qui
est fréquentée par temps pluvieux par les tritons (Sfikas, fn litt., 1982). A la
limite, o’est le milieu aquatique qui serait plutôt hostile, en effet nous avons
pu y observer Natrfx tesseliara en nombre important ainsi que N. natrfx
beaucoup plus rare (Breuil et Parent, 1988).
Les larves de petite dimension restent au fond du lac où elles trouvent
de la nourriture en plus ou moins grande quantité. Elles se développent
donc au froid et avec peu de lumiere. Cette absence de larves de |’année,
alors que des larves de 20-25 mm sont présentes en grand nombre à
lvlicriiimni, laisse supposer leur localisation au fond du lac. Seliskar et
Peliani (1935) étaient dejà arrivés à des conclusions similaires. Nous
serions tentés d’expliquer le phenomene dela neotenie dans ce lac par des
contraintes écologiques: luciiugie, et développement au froid sans pour
autant rejeter Vhypothese d'une base génétique, qui serait peut-étre à
mettre en relation avec cette lucifugie trés prononcée. Nous avions dejà
propose cette hypothèse (Breuil et Thuot, 1983). A |'époque, nous ne
connaissions pas les differents travaux de lvl. Svob (1965} qui a montré que
fa conjonction d'une basse température en presence d'une faible luminosité
entrave la métamorphose de T. a. rnontenegrinus, alors que |’obscurite
seule à température de 18-20° C entraîne la mort des animaux. Le
developpement au froid assurerait une resistance des tritons néoteniques
aux effets d’un dysfonctionnement du systeme neuroendocrinien causé par
une croissance dans un milieu peu éclairé.
Depuis 1980, nous suivons regulierement la population de Trfturus
aijoesrris aijoestris la plus méridionale de France actuellement connue (fig. 9
et 10). Celle-ci est néotenique et possede des alleles de T. a. apuantrs
(Breuil, 1986). Elle occupe un lac oligotrophe dont le niveau varie certaines
annees de plus de 9 m (1981) pour une profondeur maximale que nous
avons estimée à environ 11 m. En pleine eau, à la fin du printemps sa
surface occupe environ 5000 m2, alors qu'à la fin de i'été elle tombe à
moins de 1000. Il n’est pas exclu que certaines années, le lac puisse
connaître un asséchement total. La nappe d’eau se situe dans une
dépression délimitée, sur plus de 90% de son périmètre, par des éboulis
formant un obstacle quasi infranchissable pour les tritons. Sur 580 adultes
mesurés vivants, 456 etaient néoteniques soit un taux de néoténie de 79%.
28

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Figure 1_1: Lac Faudon, Parc National des Ecrins, France, 1560 m. (3'est un lac profond de 3-4 rn,
tendant_a la dystrophie. Il est sujet a cle grandes variations de son étendue. Fin septembre, il se
resout _a sa pa_rtIe centrale. La population de triton alpestre de ce lac montre des tendances à la
neotenre et presente des points communs morphologiques, genetiques et ethologlques avec les
tntons alpestres du Lac de la Cabane. Le milieu terrestre est loin d’etre detavorable, les tritons
alpestres se metamorphosent normalement dans de petites mares entourées par le même milieu
terrestre (Breuil, *1986).
    ,],ll·t,. ,. l  
·  ·:; .·_tîi ·_'.— _ rg:;,;,;;,  si ``=- ·       M" "   _-···*· "‘
,_ ...¢l»W'#·’“‘¤~*î?=   ·   ` . — ·_
Figure 12: Zminlcko Jezero, Parc National du Durmitor, Yougoslavie, 1285 m. Lac eutrophe envahi
Ear une vegètation centrale de Potamot. C'esl la localité type de Triturus alpestrfs sardarus
adovanovrc, 1961, Ce taxon neotenrque est considéré comme synonyme de TT a. alpestrfs par
Breuil et Guillaume (1985). Il existe des Trrtons alpestres metamorphosès dans ce lac. T. vutlgarfs se
reproduit egalement 'dans ce lac, mais se metamorphose normalement. Le milieu terrestre
environnant est formel par des paturages etun loret cl Conlteres ou les amphibiens sont très
abondants. Orl est loin de I'hostlIlte du mrlleu terrestre et du lac oltgotrophe I
29

La biologie de cette population se modifie legerement avec les fluctuations
du niveau du lac. Quand il est plein, les populations néoténique et larvaire
occupent le centre du lac. Les tritons métamorphoses (adultes etjuveniles)
fréquentent essentiellement les berges où ils demeurent cachés sous les
blocs de rocher. Quand ·le niveau de l’eau est au plus bas, la séparation
des différentes catégories de triton est moins marquée. Néanmoins, les
métamorphoses sont principalement cantonnés à l’une des extrémités du
lac, là où le vent concentre les insectes aériens tombés accidentellement
dans l‘eau. Les neoteniques occupent tout le volume du lac. Les contenus
stomaoaux confirment cette ségregation des individus, les néoténiques se
nourrissent aussi bien en pleine eau qu'en surface, qu’au fond ou sur les
bords du lac, alors que les métamorphoses ont une aire de nourrissage
plus littorale (Breuil, 1985).
Deux approches différentes et complémentaires ont été menées par des
chercheurs de Sarajevo sur T. atoesrris rnonrenegrinus pour comprendre le
phénomène de la néotenie. La première concerne principalement le
phénomène de la neurosécrétion (travaux de lvl. Svob 1963 et 1965), la
seconde s’intéresse au phenomene respiratoire en relation avec la thyroïde
(travaux de Pocrniic 1968). Sans entrer dans le detail de toutes ces
recherches, plus de 30 articles, les resultats obtenus vont dans le sens
d’une néoténie È déterminisme écologique. Le froid et le peu de lumière
reçue empêchent méme la métamorphose des neoténiques en présence de
thyral qui la provoque dans des conditions standard. La respiration des
tritons néoténiques est plus performante que celle des métamorphoses.
Quelle que soit la température, entre 10° et 25° C, la participation de
Voxygene atmosphérique compte pour 50% chez les néoténiques alors que
chez les métamorphoses, elle dépasse 75%. Cette difference de
comportement respiratoire a ete interprétee comme reflétant la difference
d'activite de la thyroïde entre tritons métamorphoses et néoténiques. Des
observations en captivité faites par Seiiskar et Pehani (1935) ont montré
que les tritons alpestres néoténiques de Slovénie remontaient moins
souvent à la surface que les métamorphoses. Ces auteurs en ont conclu
que la respiration branchiale compensait |'utilisation d’oxygene
atmosphérique si la teneur en oxygène dissous etait suffisante, c‘est—à—dire
à de basses temperatures. Avec Vaugmentation de la temperature, la
frequence de la prise d'air en surface augmente. L‘état néoténique
Iimiterait les remontées respiratoires, ce qui constituerait un avantage en
supprimant cette phase où ils sont particulièrement detectables par les
prédateurs.
Dans ces lacs oligotrophes, la neoténie apparait donc comme
directement conditionnée par les facteurs du milieu. La conservation du
phénotype larvaire améliore les possibilités d’exploitation des differentes
zones du lac et limite les remontées respiratoires.
B. Neotènie et milieux aquatiques variables
La presence de populations neoténiques dans des milieux aquatiques
eutrophes, qu'ils soient artificiels ou naturels et plus ou moins stables ne
se satisfait pas a priori du schema propose ci—dessus. L'«explication»
30

envisagée par Dzukic et Kalezic (1984) pour une population de triton
alpestre «neoteny... has probably evotved and been maintained under
conditions of unlavourabie aquatic and terrestrial environments» n‘explique
rien... Ce type d’explication est repris pour les populations de T. vufgarfs
du karst dinarique (Kalezic et Dzukic, 1985 et 1986; Tucic et ail., 1985;
Kalezic et ai'., 1990) et pour d’autres populations de T. aijoestrfsde la méme
région (Kalezic et ai., 1990).
La légendaire hostilité du milieu terrestre est un élément sur lequel
nous ne reviendrons pas. Avec sa quarantaine de populations néoténiques
touchant T. vurgaris et T. atoesrrrs (Dzukic et al., 1990), la Yougoslavie est
le pays le plus intéressant pour l’étude de ce phénomène. Les travaux
d’Andreone (1990) en Italie mettent en évidence une situation proche, mais
seules T. a. apuanus et T. a. inexpectatus montrent une absence régulière
de métamorphose. La néoténie est aussi connue en Italie chez T. a.
arjoesrrfs (De Fillipi, 1861; Camerano, 1883 a). Une constance des
populations nèoténiques est qu'il n’y a en principe qu'une espèce de triton
neotènique par lac formam des populations néoténiques. A notre
connaissance, il n'existe qu'une vraie exception (Gislen et Kauri, 1959;
Dolmen, 1978). Le cas étudie par Zeller (1899) est un peu surfait et
correspond a un milieu exceptionnel. Cet auteur rapporte la découverte
dans un trou d’eau d’une briquetterie de T. afpestrfs, de T. vufgaris et de T.
crfstatus néoténiques. Ce trou d'eau, délimité par des murs verticâtux de
briques, posséde un volume d'eau d'origine pluviale de 120-130 m , pour
une profondeur d’environ 3 mètres. La verticalité des murs aurait empèche
les tritons de sortir. Sur les 28 tritons capturés, tous étant néoténiques, on
note 15 T. vuigaris (45-85 mm), 12 T. atoestris (60-90 mm) et un T.
crisratus de 62 mm. Les âges de ces animaux seraient compris entre 1 et 3-
4 ans. Une femelle pédogenique de T. atpestris pondit 183 oeufs dont 107
donnèrent des larves qui se métamorphosérent normalement entre la mi-
août et la fin septembre. La femelle se métamorphose rapidement en
aquarium. Pour Zeller, cette absence de métamorphose ··serait due à
|'escarpement des bords qui empèche les larves de sortir de l'eau et les
force, en quelque sorte è choisir pour leur développement la voie qui les
conduirait à la néotènieir. Pour Giltay (1932), c’est ttrechercher une
solution nettement finaliste qui impliquerait chez la larve la prémonition au
cours de sa métamorphose des difficultés qu’elle rencontrera lorsque sa
métamorphose sera terminée!»
La cohabitation d'une espèce de triton néoténique avec une, voire deux,
espèces de triton se mètamorphosant normalement est un point sur lequel
il n’a pas assez été insisté et toute interprétation des populations
néoténiques doit intégrer cette donnée. En Yougoslavie, dans les lacs
oligotrophes d’altitude moyenne ou T. atoestris cohabite avec T. vutgaris (3
localités), seul l'alpestre est néoténique et seule cette espèce fréquente le
fond des lacs, T. vuigaris étant plus littoral (Seliskar et Pehani, 1935;
Breuil, obs. pers. au lac Zminick (fig. 12), localité type de T. a. serdarus =
T. a. atoestrfs Breuil et Guillaume, 1985). En revanche dans ies milieux
eutrophes de petite dimension, a première vue homogènes dans leur
volume, une telle séparation n’apparaît pas (Dzukic et Kalezic, 1984). Un
cas est connu en Yougoslavie où T. vuigaris néoténique cohabite avec T.
aijoesrrfs métamorphose (Dzukic et Kalezic, 1983). D’une manière
31

générale, dans le karst dinarique, T. aipestris et T. vufgarfs semblent
s’exclure. Dans le Larzac, T. hefveticus vit avec T. marmorarus, seul T.
hefvetfcus est néoténique (Gabrion, 1976).
Ces milieux eutrophes se caractérisent par des températures élevées
en été (pouvant atteindre 28° C sur le Causse du Larzac), une végétation
trés abondante, une transparence variable, une pro ondeur pouvant
atteindre 4 m. Ces différents milieux aquatiques peuvent s’assécher
certaines années: dans ies Alpes dinariques (Dzukic et al., 1990, pour T.
vuigaris, Kalezic et ai., 1990 pour T. afpestris), en Italie (Dubois et Breuil,
1983; Dubois, 1983; Andreone, 1990; Andreone et ai., sous presse pour T.
atjoestrfs). Il en est de même dans le Causse du Larzac où une des mares
étudiées par Giabrion (1976) contenant un des plus fort taux de néoténie de
T. heivericus de la région était complétement asséchée fin juillet 1991
(Breuil, obs. pers.)
Quels sont les facteurs qui dans ces milieux instables font qu'une larve
va continuer sa croissance sans se métamorphoser ou au contraire la
réaliser? Le probléme se pose au sein d’une espèce et entre espèces
svntopiques. En effet seules T. arpestris, T. vuigaris et T. hefvetictrs
engendrent des individus néoténiques alors que T. marmoratus ne le fait
jamais (deux cas de néoténie partielle, sont connus (Gabrion, 1976 ,
Wolterstorff, 1896) et T. crisrarus exceptionnellement (Von Ebner, 1877;
Kuhn, 1925; Gislen et Kauri, 1959; Kalezic et Dzukic, 1990)
V. DISCUSSION. NEOTENIE: CONTHAINTES DE DEVELOPPEMENT
OU SELECTION DAFIWINIENNE?
Affirrner qu'une espèce ou une population est bien adaptée à son milieu
est une évidence. Le développement, la croissance, la métamorphose,
Pacquisition de la maturité sexuelle, la durée de vie sont fortement
influencés par ies facteurs extérieurs. Ainsi, chez le triton alpestre du Parc
National des Ecrins, nous avons pu observer dans deux mares contiguës
de caractéristiques écologiques, différentes des tritons qui présentaient
une difference significative de taille (Breuil, 1986). D'une manière
générale, les tritons alpestres d’altitude se reproduisant dans des lacs
oligotrophes dépassent par leur taille nettement supérieure (c’est·à-dire
vivent plus longtemps) ceux se reproduisant dans des milieux plus chauds
et pius variables. Ainsi, des facteurs comme le froid, la nourriture peuvent
directement influencer la biologie, la morphologie et le cycle de
développement d’une population. Andreone (1990) est arrivé à des
conclusions similaires; les stratégies de reproduction des tritons varient
suivant les conditions locales.
Dzukic et ai. (1990) reconnaissent l’existence de trois types de cycles
ontogéniques chez les tritons 1
1 - La larve se métamorphose l’année de sa naissance, le jeune triton
devient terrestre et devient sexuellement mature aprés un nombre
d’années variable.
2 · La larve grandit, atteint la maturité sexuelle et par la suite se
métamorphose, |'animal devient un adulte terrestre qui retourne plus tard à
|'eau pour se reproduire.
32

3 · La larve poursuit sa croissance, devient sexuellement mature et ne se
métamorphose pas. A ces trois cycles, j‘en ajouterai un quatrième: les
larves hibernent, une voire deux années, mais se métamorphosent avant
ou pendant l’acquisition de la maturité sexuelle. Pour Dzukic et al. (1990),
le troisième cycle correspondrait a celui rencontré chez le triton alpestre
des lacs d’altitude, ou la pédogenèse serait inscrite dans le génotype. Ces
quatre cycles sont à mettre en parallele avec les cycles établis par Sexton
et Bizer (1978) sur des Ambystoma tfgrinum des montagnes du Colorado.
Ces auteurs reconnaissent I'existence du cycle normal caractérisé par une
seule classe de larves, un deuxième cycle altéré avec deux classes de
larves et enfin un troisième cycle avec trois ou quatre classes, parmi
lesquelles des Ambystomes se métamorphosent alors que d'autres restent
pédogéniques. Il est intéressant de remarquer que les premières
explications yougoslaves de la néoténie dans les lacs de montagnes
proposées dans les années 1960-1970 (voir par exemple Svob, 1965 et
Pocrnijc 1988) faisaient appel à une inhibition de la métamorphose par des
facteurs écologiques alors que la tendance actuelle (voir les différents
travaux de Dzukic, 1981; Dzukic et Kalezic, 1983 et 1984; Dzukic et al.,
1990 ; Kalezic et Dzukic, 1985, 1986 et 1990; Kalezic etai'., 1989 et 1990;
Tucic et Kalezic, 1984; Tucic et al., 1985) est résolument sélectionnistel ll
faut bien vivre avec son temps! Duellmann et Trueb (1986) considèrent que
la néoténie dans le genre Triturus est une acquisition récente, peut-être
une réponse adaptative aux changements climatiques du Pléistocéne et du
post-Glaciaire.
Admettre que certaines populations deviennent néoténiques par l’action
directe du milieu ne revient pas a rejeter I'existence d’une base génétique
rendant compte G8 certains cas de néoténie. De nombreuses observations
montrent qu’i| existe des tritons incapables de se métamorphoser quelles
que soient les conditions du milieu. Ainsi, la persistance de l’état
néoténique lorsque les animaux sont élevés dans des conditions standard
constitue un argument allant dans le sens d'une faible inhibition de la
métamorphose par le milieu. De méme la transmission héréditaire du
phénotype dans des croisements expérimentaux réalisés en conditions
standard plaide en faveur de Vexistence d’une base génétique.
La durée de la conservation du phénotype larvaire varie de manière
spectaculaire. En effet, celle-ci dépend des espèces, des populations et
des individus. D’une manière générale, les individus pédogéniques trouvés
sporadiquement dans les populations ont tendance à présenter une
néoténie stable, ces tritons conservent leur phénotype néoténique pendant
plusieurs années. Ceci est encore plus marqué pour les néoténiques
albinos (Schreitrnüller, 1923; De Marees van Swinderen, 1929). En
revanche, dans les populations pédogéniques de T. arjoestris et de T.
vu.·'garr’s, le comportement des animaux par rapport à la métamorphose est
a ,orr’orr’ des plus imprévisibles. Certains se métamorphosent complètement
_dans le mois qui suit leur arrivée au laboratoire (Andreone et Sindaco,
1987), au bout de 50 jours (Elernini et Mezzadri, 1990) , d'autres au bout
d’une année, voire de plusieurs (Breuil, 1986). Ainsi, la persistance de
l'état néoténique plusieurs années en élevage est un des arguments qui a
été utilisé pour élever les populations néoténlques au rang de sous-
espèce, Trfturus vurgarfs tatar'ensr’s, Dely, 1967; T. a. montenegrfnus
33

Ftadovanovic, 1951; T. a. piperfanus et T. a. serdarus Badovanovic, 1961.
Cependant, la métamorphose en conditions standard débouche soit sur un
animal parfaitement viabie, soit au contraire sur un animal qui succombe à
celle-ci. Quelques-uns garderont leur robe larvaire pendant plusieurs
années, soit sans montrer de signes morphologiques de métamorphose,
soit en entamant une métamorphose trés lente se traduisant par
l‘acquisition progressive des couleurs typiques des adultes métamorphoses.
La conservation des branchies demeure le signe le plus évident de cet etat
néoténique et parfois le seul caractere larvaire restant. Ces différents
aspects de la néoténie seront développés ultérieurement (Breuil, en
préparation). Dans leur milieu naturel, on remarque une différence
importante entre le degré de métamorphose du triton alpestre, où dans une
même population, on observe des individus apparemment adultes mais qui
sont morphologiquement entièrement larvaires et des individus
métamorphoses qui ne possédant plus que des reliquats d'arcs branchiaux.
En revanche, dans les populations de T. vurgaris, les néoténiques sent
rnorphologiquement trés larvaires (Dzukic et ar., 1990), il en est de méme
pour celles de T. hervericus (Gabrion, 1976, Breuil, obs. pers,). Ces
différentes constatations, suggèrent que la néctenie de T. atoesrris différé
de celle de T. hervericus et de T. vurgaris autrement dit, ces néoténies
n'ont sans doute pas le méme déterminisme.
En captivité, dans des conditions standard, les tritons palmes du Larzac
se métamorphosent à bréve échéance (1 mois). La majorité d’entre eux ne
survit pas a cette transformation. Les individus décédent au cours de la
métamorphose. lis présentent une bouche constamment ouverte.
Cependant, quelques—uns ne montrent toujours pas de signes de
métamorphose aprés 10 mois. Un individu répertorié comme femelle sur la
base de ses caracteres sexuels externes a acquis une différenciation mâle
(robe nuptiale) et posséde un goïtre thyroïdien qui est devenu de plus en
plus volumineux. ll a fini par mourir 2 mois aprés l’apparition du goïtre. La
néoténie avec goïtre n’a été signalée pour l’instant qu'une seule fois (Dodd
et Callan, 1955). Bien que comparabte, la situation est légérement
différente chez les T. arpesfris du lac de la Cabane. Certains d'entre eux
entament une métamorphose beaucoup plus lente que chez l‘espéce
précédente. D'autres demeurent complétement larvaires. Quelle que soit
leur taille, tous les tritons alpestres du lac de la Cabane survivent à la
métamorphose. Parmi les larves d'une cohorte, certaines se
métamorphoseront rapidement en aquarium alors que d'autres atteindront
la maturité sexuelle sans se métamorphoser. Plus un individu est âge, plus
sa probabilité de métamorphose dans les conditions naturelles devient
faible (Breuil et Thuot, 1983). Parmi les individus de méme âge, la
différence de réaction serait imputable à une particularité génétique sur
laquelle le milieu exerce plus ou moins son action. Cette différenciation
différé d’une espece a l’autre puisque T, arpestrrs et T. vuigaris ne sont pas
néoténiques en svntopie à moins que l'état néotenique d’une des especes
inhibe, par Vintermédiaire de substances diflusibles, la néoténie de l'autre,
ou au contraire accélère sa métamorphose.
Dans les milieux eurrophes plus ou moins stables, la persistance de la
capacité à se métamorphoser serait avantageuse si le milieu aquatique
venait à s'assécher. Vu sous cet angle, la pcpulation optimise la
34

fréquentation de sa niche écologique. Devant cette double hostilité des
milieux (Dzukic et Kalezic, 1983, Dzultic et ai., 1990, Kalezic et al'., 1990),
la sélection naturelle entretiendrait cette possibilité de se métamorphoser à
volonté. Nous ne sommes pas convaincus par cette explication bien qu’en
théorie elle puisse exister. Gould (1977) associe la péciogenese (=
néoténie totale), qui provient d’un retard ou développement somatique par
rapport au développement germinal, a la vie dans des milieux stables et la
progenése, c'est-à-dire l’acquisition précoce de la maturité sexuelle, à des
milieux instables. lvlorphologiquement, peut-être à Vexception de la taille,
le résultat est le même, les animaux présentent des caracteres larvaires
associés à la possibilité de se reproduire; ils sont donc adultes.
Malheureusement, de nombreux auteurs (Gallien, 1952, Gabrion, 1976,...)
emploient le terme d'adulte pour désigner un triton métamorphose, parfois
non mature, ce qui est source de confusion. Pour les tritons néoténiques
vivant dans les milieux instables, il serait souhaitable de connaître Page de
l’acquisition de la maturité sexuelle ce qui apporterait des informations
autres que la longévité, et de le comparer e celui des métamorphoses de la
méme population et des tritons des populations voisines se
métamorphosant normalement. Andreone et al'. (sous presse) ont établi
Page moyen oe différentes populations de T. ôÃC'SSfffS,' les populations
néoténiques de milieux instables de petite dimension vivent en moyenne
3,2 ans contre 5 ans pour des populations a métamorphose normale vivant
dans des milieux comparables. Des observations inédites réaiisées en
1991 sur la population de triton alpestre du lac de la Cabane montrent la
possibilité d’une acquisition précoce de la maturité sexuelle chez certains
individus néoténiques particulierement voraces. Cette croissance
accélérée pourrait amener à une maturité sexuelle plus rapide. C’est ce
que semblent indiquer les résultats d'Andreone et al. (sous presse). Tant
que |’on ne connaît pas le trajet ontogénlque d'un triton néoténique
(progenese ou péclogenése, sensu Gould, 1977), nous pensons qu’i| est
préférable de parler de néoténie totale, t110l qui désigne l'état d’un animal
sexuellement mature encore pourvu de caracteres typiques de la phase
larvaire.
Certaines années. il apparaît des populations de tritons néoténiques qui
se caractérisent par leur non persistance, par leur labilité (Fuhn, 1963).
Ainsi, les tritons néoténiques sont présents en grand nombre pendant une
ou quelques années puis, ils se métamorphosent spontanément. La
population reprend alors un cycle normat. Ces cas sont essentiellement
connus chez T. vuigaris (Boettger et Schwarz, 1928, l-lartvvig et Flotmann,
1940, Fuhn, 1963) et chez T. nelveticus (Giitav, 1932, Docld et Callan,
1955). Les taux de néoténie calculés par Gabrion (1976) dans le Larzac
varient d’une année a |'autre. Ainsi, durant I'étè 1991, nous avons étudié
ces populations de Triturus lielveticus; certaines ont vu leur taux de
néoténie diminuer de maniere significative, mais surtout quelques lavognes
(= mares artificielles servant d'abreuvoirs a moutons) étaient compiétement
_asséchées et donc dépourvues de tritons alors qu'elles abritaient il y a
quelques annees des populations néoténiques. Dans certaines ct‘entre
elles, de jeunes tritons métamorphoses (20»24 mm) se dissimulaient dans
les craquelures de la vase du fond. En consequence, dans les prochaines
années, ces mares seront dépourvues de tritons néoténiques. Ces cas
35

relativement rares de néoténie labile sont néanmoins très instructifs. Ils
montrent que certaines années, it existe un facteur du milieu ayant une
valeur inhabituelle qui, a iui seul est capable d'empécher la métamorphose.
En Yougoslavie toutes les populations néoténiques de T. vuigaris et de T.
aipesrris vivant dans des milieux eutrophes se situent dans Vétage
subméditerranéen (Dzukic etai., 1990). Celles de T. heiveticus du Larzac
peuptent des milieux artificiels eutrophes dans des conditions climatiques
et écologiques similaires a celles des Dinarides; on ne peut donc rejeter a
priori l'existence d'un ou plusieurs facteurs écologiques particuliers liés au
relief karstique, et donc au climat subméditerranéen, qui bfoqueraient la
métamorphose. Gabrion (1976) a trouvé une corrélation positive entre le
faux de néoténie et le rapport K*i(Ca"+ + tvtg**). Cet excès de K* par
rapport aux autres cations entraînerait la néoténie par la libération de
prolactine dont les effets sont antagonistes de ceux de la thyroxine. On
peut supposer que T. vuigaris et T. aipesrris n'ont pas la même sensibilté à
ces facteurs inhibiteurs puisque leur néoténie apparaît pour |’instant
comme exclusive. L’analyse développée dans ce paragraphe nous semble
plus s'accorder avec les faits. Pour Fuhn (1963), la possibilité de se
métamorphoser aprés avoir été néoténique et la capacité à devenir
néoténique ne semblent pas étre une caractéristique de certaines
populations, mais une caractéristique de l‘espéce. Pour moi, la question
demeure toujours ouverte.
Les croisements de tritons néoténiques en laboratoire ont montré que
dans certaines situations l'état néoténique peut être interprété comme se
transmettant suivant un modéle mendélien simpie. L‘al|é|e néotènique
apparaît récessii sur l‘alléle métamorphose (De Fremery, 1925; De Marées
van Swinderen, 1929). Les observations de Camerano (1889) sur la sous-
espèce T. aioestris apuanus vont également dans ce sens; des individus
métamorphoses issus d’une population pédogénique ont donné naissance
à des tritons pédogéniques dans un milieu naturel où fes conditions
écologiques étaient favorables a la métamorphose. Ces transmissions
héréditaires de la néoténie concernent des adultes présentant une
néoténie stable, c’est-a-dire qui se conserve en dehors du milieu d‘origine.
Cependant, de nombreuses tentatives de croisements montrent la non
transmissibillté de certaines formes de néoténie en conditions standard,
ceci est particulièrement vrai pour les néoténies dites labiles où les tritons
se métamorphosent trés rapidement aprés transport au laboratoire : T.
aipestris (Seliskar et Pehani, 1935), T. vuigaris (Hartwig et Ftotmann,
1940}, T. neiveticus (Gabrion, 1976).
En France, ta néoténie du triton alpestre se focalise dans le sud-est des
Alpes. Plusieurs populations présentant le phénomène sont connues (Le
Parco et ai., 1981; Breuil, 1986). Les populations néoténiques y
fréquentent toutes sortes de milieux: lac oiigotrophe (1995 m), étang
envahi par la végétation (1100 in), lac dvstrophe (1560 m), réservoirs
artificiels (t400·t500 m). Chaque fois que nous avons observé la néoténie
totale (la simple hibernation des larves est un phénomène quasi·
systématique en altitude), nous Favoris trouvée associée a ia présence
d'al|é|es que nous avons considérés comme caractérisant la sous·espéce
apuanus. Or dans cette sous-espèce, tout au moins dans certaines
populations et chez certains individus, la néoténie semble déterminée
36

génétiquement (Camerano, 1889). Elle s'exprime alors indépendamment
des conditions de milieu (Breuil, 1986). Dans les milieux temporaires,
quand ceux-ci s’asséchent, la métamorphose commence, les individus
néoténiques devenus terrestres poursuivent leur vie à terre ou meurent des
suites de leur métamorphose ou éventuellement de l’hostilité en surface du
milieu terrestre. En revanche, pour les populations du triton alpestre du
Monténégro, la néoténie semble conditionnée par les facteurs du milieu et
non pas par une base génétique déterminante. En effet, les tritons sont
néoténiques dans les lacs oligotrophes et se métamorphosent
normalement dans tous les trous d'eau situés aux alentours (c’est-à-dire
entourés par le même milieu terrestre). Breuil et Guillaume (1985) ont
montré que les sous-populations de néoténiques et de métamorphoses
semblaient génétiquement homogènes et que les néoténiques et les
métamorphoses pouvaient se croiser entre elles.
VI- CONCLUSION
L‘interprétation du phénomène de la néoténie ne fait pas l'unanimité
pour la simple raison qu’il existe de nombreuses situations différentes qui
tiennent aux espèces concernées et au différents milieux qu’e|les
fréquentent. Ainsi, il y a lieu de faire la distinction entre le simple retard de
métamorphose, qui se traduit par une hibernation des larves imputable aux
conditions climatiques (= néoténie partielle de Kollmann} (ponte tardive,
nourriture peu abondante, température faible) et |’éventuelle acquisition de
la maturité sexuelle avec conservation de tout ou partie des
caractéristiques larvaires (= néoténie totale de Kollmann). L'hibernation
larvaire est un phénomène trés courant pour les tritons alpestres de
montagne, l'acquisition de la maturité sexuelle est déja beaucoup plus rare.
La présence dela néoténie peut étre une caractéristique permanente de
la population, ou au contraire, les tritons néoténiques n'apparaissent en
masse que certaines années; dans cette derniére situation, la néoténie est
dite labile à l'échel|e de la population (Fuhn, 193). Dans les populations
où la néoténie est stable dans le temps, on observe néanmoins que
certains tritons se métamorphosent aussi dans leur milieu naturel, pour
ceux-ci elle peut être qualifiée de labile a l’échelIe de l’individu. Cette
métamorphose correspond a une reprise de l’activité thyroïdienne, reprise
dont on ignore le facteur déclenchant.
Transférés au laboratoire, certains tritons, particulierement ceux issus
de populations à néoténie stable dans le temps ou les tritons néoténiques
apparaissant sporadiquement dans les populations, demeurent avec leurs
attributs larvaires toute leur vie. D’autres se métamorphosent
progressivement sans probiémes, d'autres enfin se métamorphosent et
meurent. Pour ceux qui demeurent néoténiques, la néoténie est stable,
pour ceux qui se métamorphosent, elle est labile, enfin pour ceux qui ne
survivent pas au déroulement de la métamorphose, il demeure un problème
non éluoidé. L’induction de la métamorphose par de la thyroxine exogéne
en conditions standard s'accompagne de la métamorphose, les tissus des
néoténiques sont encore compétents, la néoténie n’est pas absolue
37

(Schreiber, 1933) comme chez le Protée qui se montre récalcitrant à toute
métamorphose compléte.
Dans une même population, on peut rencontrer tous tes cas de figure,
ce qui semble étre une des raisons de la divergence des interprétations
proposées. L’augmentation du nombre connu de populations néoténiques
montre la diversité des situations écologiques rencontrées et donc
Vinadéquation d’une théorie unique visant à expliquer l’apparition et le
maintien des populations néoténàques. Nous pensons que pour les
populations de triton alpestre des Balkans vivant dans des lacs
oligotrophes, la néoténie est une conséquence de la vie dans des milieux
froids et obscurs et non pas le résultat de la sélection de forme
génétiquement néoténiques par rapport a l’hostilité du milieu terrestre.
Ceci n'exc|ut pas Vexistence d'un avantage trophique de la condition
néoténique sur la condition métamorphosée dans un lac oligotrophe. En
revanche, diverses observations suggèrent qu'en Italie, dans certaines
populations, la néoténie relève d’une base génétique.
La néoténie dans des milieux eutrophes à niveau variable, voire
pouvant s‘assécher se localise essentiellement au relief karstique de climat
subméditerranéen. Il y a lieu de rechercher une explication à cette
corrélation. Uasséchement occasionnel de certains milieux aquatiques
habités par des tritons néoténiques apparait comme une observation
surprenante. Pour le triton alpestre, nous l'avions signalé dés 1983 en
Calabre (Dubois et Breuil, 1983} et nous l'avions aussi suggéré pour une
population de Gréce en 1980 (Breuil et Parent, 1988). Depuis, ce type de
constatation a été rapporté de Yougoslavie pour le triton alpestre et le
triton vulgaire (Dzukic er al., 1990; Kalezic et ai., 1990) et pour le triton
palmé dans le sud-est de la France (obs. pers,). En Italie, Andreone (1990),
Andreone et ai. (sous presse) signalent quelques populations où
l'estivaticn d'adu|tes branchiféres est possible a la suite de Passéchement
complet de certains points d’eau soumis à une forte évaporation estivale.
Nous espérons que ces données feront tomber le mythe de la stabilité du
milieu aquatique.
Les populations néoténiques apparaissent a nos yeux soit comme une
conséquence de la vie dans certains milieux, soit comme le résultat de la
propagation d’une anomalie héréditaire de la métamorphose dont
l’expression pourrait dépendre plus ou moins des conditions du milieu.
Indépendamment de la cause de la néoténie, le triton alpestre néoténique
exploite facilement tout le volume d’eau des lacs oligotrophes, ce que ne
fait pas le triton métamorphose. Pour les tritons vivant en milieu encombré
par la végétation, nous ne pensons pas que ceci soit un avantage décisif.
En revanche, quelle que soit la nature du milieu considéré, le fait de
remonter moins souvent en surface peut diminuer |'impact de certains
prédateurs et donc avantager les adultes branchiféres.
L'état néoténique amène a une prolongation de la vie aquatique et à
une diminution de la longueur des périodes de moindre activité. Ainsi, dans
certains milieux la croissance pourrait étre plus rapide qu’à terre et la
maturité sexuelle atteinte plus précocement que chez les tritons se
métamorphosant sans hibernation larvaire. Nous ne pensons pas que
|’hostilité du milieu terrestre soit le facteur sélectif décisif qui canalise une
population vers l‘état néoténique; ce n'est pas parce que le milieu apparaît
33

impropre en surface a la vie batrachologique qu'iI le demeure en
profondeur. Pour terminer ce panorama de la néoténie dans le genre
Trtfurus, rappelons que ce QUI est vrai pour une espece Ou une pûputatîen
ne l‘est pas forcement pour une autre et ne constitue donc pas un fait a
portee generale
Remerciements - Nous remercions dacques |—lourdry de nous avoir invité à
presenter ces quelques Idees a _|'occasIon des journées du 209
anniversaire de la Socrete l-lerpetologtque de France qui se sont tenues à
Orsay en ruin 1991 et les_re|ecteurs anonymes pour la qualité et la
pertinence des remarques falteS. Nous tertüns egalement a remercier MM.
Jean-Luc Pernodet pour l'aIde apportée pour la réalisation de cet article,
Georges l—lenrI Parent pour la traduction des articles en néerlandais, Pierre
Charrau pour la tradLtCtI0n de certains passages d'artICleS en allemand et
Frart_C0 Andreone QUI _au moment 0Lt n0uS termtnI0rtS Cet article, a eu la
gentrllesse de nous faIre parvenu ses dernie_rs travaux et particulièrement
ceux sous_ presse ce our nous a permis d'étofler ce travail. Les
photographies des lacs balkanlques ont été faites grâce a |’aide de la
SOCIete Kodak que nous fBlTlGf©l0|'IS.
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_ _ Michel BBEUII.
Laboratoire des Reptiles et Amphibiens
Museum national d‘Histoire naturelle
25, rue Cuvier
75005 PARIS (FI‘âl1C8}
44-

Bull, Soc. Herp. Fr. (1992) 61 : 45-51
par
Jean LESCUFIE et Sabine FlEN©US
Résumé - Chez les Gymnophiones, on distingue, en arrière de la tête, une region
particulière ou collier, formée de deux anneaux plus larges que ceux du tronc,
apparaissant plus tardivement au cours du développement et ne présentant pas la
correspondance 1 anneau primaire ,·' 1 vertèbre. Les anneaux du collier recouvrent la
musculature du plancher buccal et la jonction cranio-vertébrale. Ils correspondent à la
région brahchiale des embryons et des larves. D’un point de vue morphologique, le collier
des Gymnophiones peut étre interprété comme une amorce du cou des Amniotes. il joue le
role d'un cou véritable sur le plan fonctionnel.
lillois-clés : Gymnophiones. Collier. Cou. Morphologie,
Summary — The Gymnophlona show behind the head two annuli wider than trunk primaries
annull that define the collars. The oollars are a particular morphological region and their
annulation appears later than on trunk in the ontoge ny and have not the_ typical reciprocal
relation 1 primary annulil 1 vertebra. They cover the musculature ol the buccal floor and
the cranio·vertebra| joint. The collars ol the Gymnophiona correspond to the branchial
region ol embryos and Iarvae. They may be looked as an inciplent neck region, especially
on a functional point of view.
Key—worda : Gymnophiona. Collars. Neck. lvlorphology.
l- INTRODUCTION
lI_est communément admis que les Amphibiens ont un cou extrêmement
reduit parce qu’ils n'ont qu’une seule vertebre cervicale, lfatlas.
Ce_pendant, depuis Taylor (1968), on distingue, che; les Gymnephiones,
qui tl’ont nl membres nt Ceintures, une region SDÈCIIIQUB, le collier, forme
de deux anneaux généralement plus larges que les anneaux primaires du
tronc. Taylor (1968) et les auteurs anglo-saxons, excepté Breckenridge et
al. (1987), ecnvent «co||ars» au pluriel dans le sens que les deux premiers
anneaux sont appelés collier. Nous avons preferé utiliser le terme de collier
au singulier (Lescure et al., 1986) pour biert definir une region
morphologique particuliere (tete, collier, tronc, region postcloacale) et
mieux evoquer la comparalson av_ec Q cou. Les anneaux du collier
recouvrent des vertèbres qui loueraient le role de «cerviçales>= chez ces
animaux plus ou moins louisseurs, dont la tete et la region vertébrale
immediatement postérieure sont plus mobiles que le reste du corps et
subissent plus cle stress que chez les autres Amphibiens (Taylor, 1977).
Manuscrit accepté le 7 février 1992
45

lt- LE COU DES VEHTEBHES
Chez les tétrapodes, le coeur, inclus dans une cavité coelomique close,
le péricarde, occupe la partie antérieure du coelome et se situe en arrière
de la région branchiale. Il est précédé de deux régions dépourvues de
coelome, la tète et le cou. Ce dernier, propre aux Amniotes, semble-t-il,
constitue une zone intermédiaire entre la téte et le tronc et résulte
essentiellement d’une modification de la région branchiale au cours de
l’évo|ution. Durant le développement embryonnaire des Amniotes,
Papparition de la courbure nucale, liée à Védiiication de |’enoéphale,
laquelle augmente la croissance de la région dorsale, tend à refouler les
arcs branchiaux latéralement et vers l’avant. Le rnésenchyrne, qui provient
des somites post-otiques, s'interpose entre la pointe du péricarde et
|’ébauche mandibulaire. ll se développe et représente l’amorce du cou,
tandis que les arcs branchiaux régressent. Le segment cervical de la
colonne vertébrale forme le squelette du cou. En effet, en même temps que
se modifie la région branohiale, se dessine nettement chez les premiers
Vertébrés terrestres une articulation crànio-vertébrale et un début de
différenciation régionale de la colonne vertébrale. Le recul de la ceinture
peclorale, qui se détache du crâne, favorise l'individuallsation d’une région
du cou, encore peu développée et surtout peu flexible, parce que soutenue
par un seul élément squelettique, l'atlas.
Bien que d’origines, phylogènélique et embryologique, claires, la région
du cou reste difficile à définir sur le plan morphologique. Son statut de zone
charnière est insuffisant, si nous tenons compte de l’aspect évolutif et de
l’extrème complexité de l’appareil branchiai et de ses dérivés (squelette,
muscles, vaisseaux, nerfs crâniens, glandes endocrines, etc,). A titre
d'exemple, les vaisseaux acquièrent dans cette région une organisation
originale émanant de celle des arcs aorliques, branches segmentaires
détachées des aortes ventrales, qui s’élèvent ventro-dorsalement pour
doubler les arcs viscéraux, avant de se réunir, de chaque côté du corps,
pour constituer les aortes dorso-latérales. De ce fait, la région du cou peut
ètre considérée comme celle des vertèbres cervicales, des carotides
communes, des muscles du système hyoidien, en relation avec la
spécialisation du squelette du plancher buccal, ou encore comme celle des
muscles responsables de la mobilité de la tète qui joignent le crâne, les
vertèbres cervicales et la ceinture scapulaire.
Selon cette définition, le cou manquant chez les Poissons, fait son
apparition chez les Amphibiens, mais avec une seule vertébre cervicale,
|'atlas. Il se développe chez les Fleptiles qui possèdent 8 ou 9 vertèbres
cervicales et un complexe atlas—axis. La limite postérieure de la région
cervicale est définie par la première liaison entre l'axe vertébral et la
ceinture scapulaire.
Chez les Gymnophiones, 3 à 5 vertèbres antérieures de l'axe vertébral,
dont l'atlas, sont responsables d’une mobilité de la tète plus grande que
chez les autres Amphibiens. Pour cette raison, Taylor (1977) les considéré
comme des vertèbres cervicales. Cependant, cette partie antérieure de
l’axe vertébral n‘a pas le statut morphologique d’une région cervicale mais
en joue le rôle sur le plan fonctionnel.
46

III. LE COLLIER DES GYMNOPHIJDNES
Les Gymnophiones sont entièrement annelès et deux anneaux plus
larges se distinguent en arrière de la tête. Dunn (1942) discerne un
système d’anneaux primaires _Gl secondair_es. Il constate que les sillons
sèparant deux anneauxprrmarres successifs correspondent à I‘extrèmitè
des côtes comme les srllons costaux des Urodèles. Il en conclut que le
nombre de ces sillons donne le nombre des vertèbres. Taylor (1968) est le
premier, à notre connaissance, a distinguer les deux anneaux plus larges
en arrière de la tète et a les nommer une fois «co|tiers nucaux» (p. 16) et
les autres fois =•coIIiers» tout court mais il ne les sépare pas des autres
anneaux primaires dans son decompte des anneaux: Ceci introduit une
erreur dans le rapport du nombre d’anneaux primaires au nombre de
vertèbres.
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Figure 1 : Structure generale du collier et correspondance avec |'axe vertèbral. Les rectangles
hachurès représentent les 3, 4 ou 5 vertèbres sous les deux anneaux du cellier, qui sont indiqués
par des flèches sur les deux laces du corps. A: Chtonerpeton fndisùlnctum; B: Mrcrocaedlia unicdor;
C: Scdecomorphus uiuguruensfs; D: Rhinanrema bivirtarum; (d'aprs Renous et al., 1988),
47

A. Que représente le collier sur le plan morphologique?
Si nous considérons la régionalisation du corps (collier, tronc, extrémité
p0st_-cloacale), une correspondance entre un anneau primaire et une
vertebre apparait sur le tronc; elle n'existe pas au niveau du collier car 3 à
5 vertebres sont sousqacentes aux deux anneaux nucaux (Lescure et ai.,
1986; Fiencus et ai., 1988) (fig. 1).
Nussbaum et Wilkinson (1989) admettent notre affirmation d'une
absence de corrélation entre vertebr et anneau primaire au niveau du
collier. D‘ai||eurs, Vannulation apparaît plus tardivement sur le collier que
sur le reste du corps (Sammouri et ai., 1990) (fig. 2). Elle ne s’y manifeste
qu‘apres la métamorphose et le passage a la vie terrestre chez fcthyqohis
gi'utrnosus_ (Sarasin et Sarasin, 1887-1890; Breckenridge et al., 1987).
Le collier coinc_id_e avec la plus grande partie du système hyobranchial,
dont la portion antérieure s'avance entre les deux branches mandibulaires.
Il recouvre la musculature du plancher buccal (Naylor et Nussbaum, 1980;
Nussbaum et Naylor, 1982), notamment l'interhyoïdien postérieur
(Nussbaum, 1983) qui intervient dans la fermeture de la bouche. Sur le
plan morphologique, le collier s'avére donc une région distincte du tronc.
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st.27
Figure 2 : Vue iatérale gauche de Vembryon de rypnranecras ccmpressicaudus au stade 27
(d'apres Sammouri et ai., 1990). L'annu|aticn progressant vers la partie antérieure du corps sous la
branche foliacèe [B), est indiquée par une fleche,
48

B. Que représente le collier sur le plan embryologique?
Au cours du développement embryonnaire, chez les autres
Gymnophlones, comme chez les autres Amphibiens, des branchies
externes, qui correspondent à des expansions sacculaires, recouvrent les
arcsviscéraux et les fentes qui les suivent. Des renflements superficiels
soulignent ta formation deces arcs viscéraux (mandibutaire, hyoïdien et
branchlaux). Trois fentes vuscérales externes, qui se creusent à ta surface
de |’embryon, rejoignent les poches vlscérales internes pour former les
fentes branchlales. Lapremrére fente fonctionnelle se situe en arriére de
l‘arc hyofdien. La premiére branchie externe coiffe le premier arc branchial
et recouvre la deuxieme fente branchiale et ainsi de suite pour les deux
autres.
Chez les Gymnophiones ovipares à larves aquatiques (ex: fcrhyophfs),
l_es branchies tornbentdans les deux jours qui suivent I'éc|osion; chez ceux
a' developpement direct, ovovivipares et vivipares, elles tombent
generatement avant Vécloslon ou la mise-bas. Chez toutes les espèces
étudiées, elles laissent une cicatrice située dans la région du collier, soit
entre les deux anneaux nucaux (fcthyophfs grutfnosus, Sarasin et Sarasin,
1887-1890; Hypogeopnfs rostrarus, Brauer, 1899; Syfvacaeciüa
granoïsonae, Largen et ar.,_ 1972), soit sur le deuxième (Typhlonectes
compressfcaudus, Sammoun er ar., 1990) (fig. 3).
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Figure 3 : Nouveau—né (stade 34, vue latérale) de Typhlonecres compressufcaudus (d’après
Sammouri et af., 1990). Ad.: deml—anneau dorsal; A,v.: deml·anneau ventral (les flèches; cl. bz
cicatrice des branchles; D: dents; N: narine; O: oeil; a.t.: appareil tentaculaire; Glmt orifice d'une
glande muqueuse,
49

L’emplacement de cette cicatrice et le mode de formation _des branchies
externes suggèrent que la région du collier dérive de la region branohiale
de |'embryon, comme l’avan pressenti Taylor (1968).
IV. CONCLUSIONS
Le collier represente donc une region corporelle originale sur les pI_ans
morphologique et embryologique. Les deux anneaux nucaux, qui le
composent, se mettent en place tatCltV6n'le_nt et la Chute CIBS branChleS y
laisse une cicatrice. Il correspond à la region branohiale de |’embryon et
recouvre chez l‘adulte la musculature hyoidienne. A ce titre, le collier
constitue effectivement t'amorce d’un cou. De plus, l’at|as_et les premières
vertèbres, situées sous le collier, jouent |e_rô|e d’un véritable cou sur le
plan fonctionnel, puisquüls assurent la mobilité de la tête. Cependant, en
l’absenoe de fonction sterno—costale, ces vertèbres les plus anterieuresde
l'axe vertèbral, derrière |'atlas, ne peuvent pas être identrfiees aux vraies
vertèbres cervicales des Amniotes.
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J. LESCUFIE
Laboratoire des Reptiles et Amphibiens
57, rue Cuvier,
et
S. RENOUS
Laboratoire d’Anatomie Comparea
55, rue de Buffon,
URA 041137 du CNRS et Museum national d’I-listoire naturelle,
75005 PARIS (France)
51


			
Burt. Soc. Herp. Fr. (1992) S1 : 53-61
Typhlonectes compressrcaudus
par
Jean-Marie EXBRAYAT et Souad HBAOUI-BLOQUET
Résumé - Le développement intra-uterin de Typhronecres compressrcaudus dure six mois
environ. La masse vitelline est d'abord resorbee puis une dentiticn foetaie est mise en
piece, le tube digestif se différencie et devient fonctionnel. Uembryon se nourrit alors des
sécrétions utérines, d’oeuls abortils, d'embryons morts. Au cours du deveîoppement,
Vepiderme, puis les branchies sont le siège de différenciation de structures amp ifiant la
surface d'echanges avec l’environnement utérin. Les parois utérlnes subissent des
variations morphologiques liées à Vévolution des embryons. Les organes de réserve des
femelles subissent des variations de volume en corrélation avec la taille des embryons.
Mots-clés : Gymnophione. Typhfonecres oompressicaudus. Embryon. Viviparité.
Summary - lntrauterine development of Typhlonecres compressrcaudus is about six
months long. Vitellus is first reabsorbed then a loetal dentition is observed. Digestive tract
is differentîated and becomes functional. The embryo eats uterin secretions, abortif eggs,
dead embryos. During the development, first the epidermis, then the giils are covered by
structures ellowing exchange areas with intrauterine environment to increase. The cell
structure of uterine walls is linked to the embryonic evolution. ln iemales, the volume of
reserve organs is linked to the embryo’s size.
Key-words : Gymnophiona. Typhionectes compressr`caudus. Embryo. Viviparity.
I. INTRODUCTION
Les Gymrtophiones, Amphibiens serpentiformes repartis dans les zones
equatoriales et tropicales, rassemblent environ 170 espèces dont la moitie
sont vivipares ou ovovivipares (Taylor, 1988; Wake, 1977). Les travaux
C0nSaCrèS au développement embryonnaire de ces animaux Sont peu
nombreux et portent sur quelques espèces seulement: rchrhyqohis
grutrnosus (Sarasin et Sarasin, 1887-1890; Breckenridge et Jayasinghe,
1979; Breckenridge et ai., 1987), Hypogeophfs rosrrarus (Brauer, 1897,
1899), rypnronecres compressr'caudus (Delsol et ai., 1981; Sammouri et
ar., 1990). Les relations foeto-maternelles pouvant exister chez_ les
espèces vivipares sont peu connues. Seule la presence d’une dentrtro_n
foetale caractéristique a ete mise en evidence par plusieurs auteurs (voir
bibliographie in Exbrayat et Delsol, 1988).
Depuis quelques annees. de nombreux travaux ont porté Sur
Typhloneotes compressicaudus, espece sud-américaine _ aquatique et
vivrpare (Lescure, 1981). Quelques aspects de la biologie de la
reproduction de cette espèce ont ete précises dans des travaux antérieurs
Manuscrit accepté le 7 février 1992
53

(voir bibliographie in Exbrayat et ai., 1986), Le but de cette communication
est de faire le point sur les connaissances actuelles portant sur les grands
traits du développement embryonnaire et les relations intra-utérines entre
les embryons et leur mére. Le tableau I schématise les grands événements
qui affectent Typhionectes compressr'cauo‘us au cours des différentes
phases de son développement.
II. REPRODUCTION ET DÉVELOPPEMENT
Les animaux étudiés proviennent d'une population de Guyane
française. Ils ont été capturés au cours de diverses missions effectuées
grâce à l'aide de la fondation Singer-Polignac (mission Delsol-Lescure,
1979; Delsol, 1980). Les animaux vivent dans les marais et leur cycte
sexuel est inféodé aux alternances saisonniéres: la copulation s’effectue
entre janvier et avril, pendant la saison des pluies; entre juillet et janvier,
saison sèche, les animaux restent sexueltement inactifs. Les naissances
sont observées entrejuillet et octobre, milieu de la saison sèche, après 6 à
7 mois de gestation. Le cycte des femelles est biennal: la premiére année
est consacrée à la gestation, la deuxième année correspond à une phase
de repos sexuel (Exbrayat et Delsol, 1985).
Une première table de développement ayant permis de préciser les faits
les plus marquants de Pembryogenése, a été publiée par Delsol et ai'.
(1981). Plus récemment, la publication d'une nouvelle table de
développement par Sammouri et ar. (1990) a permis de préciser les détails
de Vontogenése de Typnlonecres compressi'caudus.
D’aprés ces travaux, on peut considérer que le développement de
Typhlonectes compressicaudus est divisé en trois grandes étapes. La
premiére phase correspond à des embryons pourvus d'une masse vitelline
relativement importante. Ces embryons sont entourés d'une gangue
muqueuse élaborée par la partie antérieure de l’oviducte (Exbrayat,
1988a). C’est au cours de cette phase que se déroulent les premières
étapes du développement: segmentation, gastrulation, neurulation et début
de Vorganogenése. Ce sont les stades I et Il de Delsol et ar'. (1981) ou 14 à
25 de Sammouri et ai. (1990). Cette période, d'une durée de deux mois
Ègviron (Exbrayat , 1986), se termine par l'écIosion, placée après le stade
La deuxième phase de développement débute aprés l'éclosion.
L'embryon a atteint fe stade foetus. La masse vitelline est alors plus ou
moins complètement résorbée. L’animal est libre dans l'uterus où il peut se
déplacer. Les branchies vesiculeuses se développent. Cette deuxieme
phase dure deux mois environ également (Exbrayat, 1986).
Les individus de la troisieme phase correspondent à de véritables
larves intra-utérines. Les animaux ont Vaspect de petits adultes pourvus
cl’une paire de branchies vesiculeuses, appliquées contre la paroi utérine.
La parturition intervient a la lin de cette période de la vie intra-utérine qui
dure également deux mois environ.
Les courbes de croissance des embryons, foetus et larves ont été
tracées. Aprés une premiere période de croissance linéaire trés faible
(jusqu’au stade 26), |‘anima| entre dans une phase de croissance plus
54

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Tableau I : Pnncupaux evenements afîecïant le developpement de Typhlonectes covnpresdcaudus
 

rapide (stade 27 à 31). il subit ensuite sa croissance maximale pendant les
deux derniers mois de ta vie intra-utérine (stades 32 et 33).
Globalement, des oeufs de 2 à 3 mm de diamètre pesant quelques mg
conduisent en quelques 6 mois, à des nouveaux-nés mesurant de 120
140 mm (et parfois ptusl), pesant 4 a 5 g. Par ailleurs, il a été constaté que
chaque femelle de 300 à 450 mm de longueur peut donner naissance à 6 a
8 jeunes de cette taille. Compte tenu de la faible quantité des réserves
vitellines contenues dans les oeufs, et de la durée de vie intra-utérine
relativement longue, il parait vraisemblable que la mére supplée aux
réserves embr onnaires pour permettre le développement des embryons.
Différents critgres plaident en faveur de cette hypothèse. Ces critères,
d'ordre morphologique ou physiologique sont actuellement en cours
cl‘étude. Ils concernent le développement du tube digestif embryonnaire
mis en relation avec l’état des voies génitales femelles, la présence de
substances nutritives dans les utérus, Fexistence de structures permettant
Vaccroissement des surfaces d’échanges au niveau de l’ectoderme
embryonnaire, les variations pondérales des organes de réserves chez les
femelles gestantes et le passage d'un traceur radio-actif de la mère aux
larves intra-utérines.
Ill. LE TUBE DIGESTIF EMBFIYONNAIRE
Une premiére approche du developpement du tube digestif de
Tyohlonectes cornpressicatrdus est actuellement en cours. Nous pouvons
des à présent préciser quels sont les événements marquants de cette
organogenése, au cours des différentes phases du développement.
A. Phase embryonnaire
Chez les stades les ptus jeunes que nous ayons pu observer (stade 23},
Voesophage et |’estomac sont déjà bien en place, bien que tapissés
intérieurement d'un épithélium indifférencié. L’estomac s’ouvre sur
|’intestin qui repose ventralement sur la masse vitelline entourée o
cellules endoblastiques contenant souvent des plaquettes vitellines
phagocytées. La paroi dorsaie de cet intestin est constituée d'un épithélium
stratifié formé de cellules de grande taille pouvant également phagocyter
des plaquettes vitellines. Des vaisseaux sanguins vitellins sont appliqués
ventralement contre la paroi externe de la masse vitelline.
Le vitellus est progressivement absorbé et digéré parles cellules dela
paroi intestinale et, au stade 26 (à l‘éclosion), cette masse vitelline est
quasiment inexistante.
B. Phase foetale
De nouveaux modes de nutrition apparaissent. On observe d'abord
l'ouvérture de ta bouche. Avant |’éclosion, au stade 23, le pharynx était
barré par une membrane. A partir du stade 25, doncjuste avant Véclosion,
cette derniére disparait progressivement. Une dentition foetale est
56

progressivement mise en place à partir du stade 25. A partir de l’éclosion,
le tube digestif se développe, les cellules épithéliales de Poesophage et de
|’estornac se différencient (mais les glandes gastriques n'apparaîtront
qu’uitêrieurernent). Des modifications sont également notées au niveau de
l'intestin. Au stade 26, juste aprés l’éc|osion, des entérocytes vont
remplacer progressivement les types cellulaires observés précédemment
et des cellules calciformes sont également mises en place.
L'examen du contenu du tube digestif des foetus aux stades compris
entre l’éclosion et te stade Iarvaire permet d’apporter des précisions quant
à la nutrition exogène: on observe en effet la présence de masses de
sécrétions éosinophiles, colorées en bleu par I'azan, méiangées à des
plaquettes vitellines, des érythrocytes, des noyaux cellulaires. Certains de
ces éléments sont issus de la paroi utérine. En effet, minces et
indifférenciées pendant la période de repos sexuel, les voies génitales
femelles se développent au début de la période de reproduction. Chaque
oviducte se différencie en une portion antérieure tubaire et une portion
postérieure utérine. A l’ovulation, l'utérus présente un aspect caverneux,
les parois sont tapissées de cellules émettant des sécrétions ou
expansions qui deviendront de plus en plus abondantes alors que les
embryons atteignent le stade de l‘éc|osion. Par la suite, ces sécrétions
apparaissent moins abondantes. La paroi est dégradée et les cellules
épithéliales elles-mêmes sont arrachées. Cette évolution de la paroi
utérine est le résultat de l’action des foetus qui, grâce à leur dentition
foetale, peuvent arracher les substances et les cellules de la paroi utérine.
C- Phase larvaire
Au stade 32, le tube digestif des iarves a évolué. t.'oesophage prend un
aspect définitif, les glandes gastriques sont mises en place, la détection de
l’activité phosphatasique alcaline au niveau du plateau strié de Vépithélium
intestinal est le signe de l’activité de cet organe. A ce stade, on observe la
présence de masses de grande taille évoquant des structures
embryonnaires en cours de digestion é l’intérieur même du tube digestif
des larves. Par ailleurs, à la dissection, nous avons pu observer la
présence de foetus morts dans la gueule de telles larves.
En revanche, la paroi des utérus n'est plus sécrétrice. Un nouvel
épithélium, formé d’un tissu compact et vascularisé, est mis en place. La
nutrition exogéne à partir des sécrétions utérines ne paraît donc plus
possible, bien que les larves possèdent encore une dentition foetale,
fortement usée.
IV. LES ECHANGES TRANSEPIDERMIQUES
L’évo|ution de la surface ectodermique et la différenciation de zones
spécialisées tendent à montrer que, outre les échanges nutritifs fortement
suggérés par les observations précédentes, Vépiderrne représente un site
d'échanges de diverses natures entre la mére et les jeunes intra-utérins.
Sammouri et al'. (1990) ont montré que, pendant la phase embryonnaire,
la totalité de Vépiderme est recouverte de cellules émettant des expansions
57

permettant de développer des surfaces d‘échanges. Au stade 22, ces
structures sont particulièrement bien développées. A partir de ce stade,
i’épib|aste ventral de |’embryon, doublé de la somatopleure, se différencie
en une fine membrane aux cellules émettant de nombreuses expansions:
c'est |’ectotrophob|aste décrit par Delsol et al'. (1981, 1986) qui semble
correspondre à une zone privilégiée permettant des échanges avec le
milieu extraembryonnaire. Cette structure évolue rapidement et n'est plus
observable au stade foetus.
D’autres organes semblent représenter des lieux privilégiés pour les
échanges: ce sont les branchies. Chez Typhionectes compressicaudus, les
branchies ont une structure bien différente de ce qui est observé chez les
larves des Amphibiens Anoures, Urodéles, ou même chez les autres
Gymnophiones qu'ils soient ovlpares, à développement direct ou vivipares
(sauf, dans ce dernier cas, chez tous les Typhlonectidae). Les branchies
de Typhlonectes compressfcaudus résultent de la fusion de trois paires
d'expansions externes et affectent la forme d’une paire de lames
vésiculeuses qui se développent au cours de Vontogenése et qui finiront
par isoler l'anima| de la paroi utérine en l’enve|oppant complétement
(De|sol et al., 1981, Sammouri et al., 1990). La croissance linéaire de ces
organes suit celle de l'embryon. Au départ, libres autour de ce dernier, les
branchies finiront par étre accolées contre la paroi utérine alors lisse, au
stade larvalre.
L’étude histologique des branchies montre une structure vésiculeuse
(Delsol et al., 1988). Les faces épidermiques embryonnaire et utérine sont
séparées par un tissu conjonctif à l’intérieur duquel sont observés des
fibroblastes parfois trés allongés et des vaisseaux sanguins. A certains
stades, la vascularisation affleure l'épiderme, ce qui laisse supposer
l’existence d’échanges intenses avec le milieu extraembryonnaire.
L’examen en microscopie électronique à balayage a permis de montrer
|'évolution de la surface branchiale (Exbrayat et l-lraoui-Bloquet, 1991).
Jusqu'au stade 26, les mêmes types de cellules émettant des expansions
trouvées sur tout I'épiderme sont observés. Par la suite, la surface
branchiale se différencie. Des cellules de divers types aux expansions
arborescentes, avec des ciliatures de formes diverses se développent. Le
côté dirigé vers la paroi utérine présente toujours un relief beaucoup plus
accentué que la côté dirigé vers l’embryon. Des masses de sécrétions
peuvent couvrir certaines zones; des cellules d’origine maternelle ou des
plaquettes vilellines sont parfois observées à la surface des branchies.
Des ponts cytoplasmiques ont été observés entre la paroi branchiale et
I’utérus maternel chez des larves de stades 32 ou 33 (Delsol et al., 1986).
V. QUELQUES ASPECTS DYNAMIQUES DES ECHANGES
L’étude volumétrique et pondérale des organes de réserve (foie et corps
adipeux) des femelles de Typhlonectes compressicaudus a permis de
montrer qu’iI existait des variations importantes en corrélation étroite avec
le développement des embryons (Exbrayat, 1988b). Au début du
développement, ces organes ont un volume maximal. Ils régressent de
maniére trés importante à la fin de la gestation, ce qui coïncide avec la
phase de croissance larvaire. Chez les femelles en repos sexuel, on
58

n‘observe toutefois que de faibles variations pondérales saisonniéres.
Enfin, aprés injection de thymidine tritiée a des femelles portant des
larves intra-utérines, nous avons pu observer la présence de quelques
noyaux marqués dans divers tissus des embryons. Cette observation
preliminaire nous permet d'afflrrner que des passages existent entre la
mère et le foetus.
VI. CONCLUSIONS
L‘étude du développement intra-utérin de Typhlonectes compresslcauclus a
révélé plusieurs types d’échanges entre la mére et les embryons. La masse
vitelline, relativement peu importante, est rapidement résorbée, bien plus
rapidement, par exemple, que chez l‘espéce ovipare lchrhycphls
glurlnosus, chez qui elle persiste longtemps aprés l’écIosion (Breckenridge
et Jayasinghe, 1979). Cet épuisement des réserves vitellines conduit
l’animal à utiliser trés vite un mode de nutrition buccale direct faisant
intervenir des adaptations morphologiques fonctionnelles, tant au niveau
des embryons (dents foetales, par exemple) qu’à celui de la mére
(sécrétions utérines).
Des structures d‘échanges d'un autre type semblent également exister
au niveau du revêtement cutané. A partir d'un épiderme peut-être
totalement absorbant au début du développement, des zones privilégiées
dont la surface au contact du milieu externe est considérablement
augmentée, sont progressivement mises en place. Ces zones sont
Fectotrophoblaste et les branchies. Ces derniéres sont transformées en
organes vésiculeux complexes, et perdent _de ce fait l’aspect classique
radié et filamenteux que l'on observe chez les autres Amphibiens.
ll est enfin intéressant de noter qu'il existe des corrélations entre les
variations pondérales des organes de réserve et la croissance des jeunes
animaux intra-utérins.
L’ensemble de ces observations laisse donc supposer qu’i| existe de
véritables échanges entre la mere et le foetus, comme chez l’Urodèle
Salamandre arra, où l'on observe d'ail|eurs un mode de nutrition direct des
larves intra-utérines par le vmagma-utérinv, mélange de sécrétions
élaborées par les voies génitales et d'oeufs abortifs (Vilter, 1986), et pas
seulement des échanges de type osmotique ou dilfusif, comme c’est le cas
chez Salamandre salamandre, par exemple (Greven, 1980 a et b).
Des études ultérieures devraient permettre de comprendre l‘importance
des différents modes d‘échanges foeto-maternels mis en place chez cette
espèce. Il serait alors intéressant de les comparer à ceux qui existent chez
d’autres Gymnophiones vivipares. En effet, chez ces derniers, les foetus
possèdent toujours une dentition foetale leur permettant de se nourrir à
partir des sécrétions élaborées par |’utérus maternel (Parker, 1956, Parker
et Dunn, 1964, Wake, 1970, 1976, 1977, 1978, 1980). Cependant, la
`structure particulière des branchies de Typhlonecles com,oressr'caudus et
qui se retrouve chez les autres membres de la famille des Typhlonectidae
(Taylor, 1968, Lescure er al., 1986), n'est jamais observée chez les autres
espèces de Gymnophiones vivipares (voir Wake, 1977). De méme,
Vectotrophoblaste décrit par Delsol et al. (1981) semble particulier à cette
espèce, mais nous manquons de references portant sur d’autres especes
59

vivipares pour permettre cles comparaisons. Il n’en demeure pas moins que
Ty,oh!onecres cornpressrcauolos et les autres Typhlonectidae semblent
présenter un certain nombre cfadaptations morphologiques liées à la
ÈBSIEÈIOH, CB QUII 'ISUF CIOIIHB URB place DBTIICUIIÈTG pâlml les EIUIFBS
ymI`IO|`Ã}hlOf`|9S vlvt0Etl8S.
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